Ces traités ont une portée universelle. Ils ont été adoptés par presque tous les États au monde. Les Conventions de Genève ont été adoptées juste après la Seconde Guerre mondiale, en 1949. Elles visent à fixer des limites dans les conflits armés et à en protéger les victimes – les civils, les prisonniers et prisonnières de guerre, les blessé-es, les malades, les naufragé-es.
Elles ont été complétées par plusieurs traités, en particulier par les Protocoles additionnels de 1977. «Ces derniers encadrent notamment les méthodes et moyens de guerre, soit la conduite des hostilités, précise l’ancienne directrice de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève. Le droit relatif à la conduite des hostilités (ou « droit de la Haye ») permet de répondre à des questions telles que: quelles armes peuvent être utilisées dans un conflit ; quelles sont les tactiques ou stratégies de guerre qui sont autorisées et celles qui sont interdites? La question de savoir si les attaques qui sont en cours à Gaza sont indiscriminées relève par exemple du droit de La Haye.»
Le siège comme arme de guerre?
L’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève a récemment publié un rapport sur l’insécurité alimentaire dans les conflits armés. Des parties belligérantes ont en effet recours à des tactiques du type siège, à savoir le fait de vouloir encercler une zone ou une ville pour contraindre les combattants présents dans celle-ci à se rendre en empêchant l’entrée de nourriture, d’eau, de médicaments et d’armes. «Cela a été le cas à Marioupol en Ukraine et s’apparente à la situation actuelle à Gaza, illustre-t-elle. Le problème, c’est que cela mène à des situations humanitaires catastrophiques, les personnes civiles présentes dans la zone étant également affamées et isolées.»
Que dit le droit humanitaire à cet égard? «Il n’y a pas d’interdiction explicite du siège, mais il y a des dispositions dans les protocoles additionnels relatives à l’interdiction de la famine, note-t-elle. Affamer la population civile de manière intentionnelle constitue un crime de guerre. Mais la partie qui assiège se défend souvent en prétendant que son but est d’affamer les combattants uniquement. Pour conclure à une violation du droit humanitaire, il faut être en mesure de prouver que la famine est, en réalité, instaurée à l’encontre des personnes civiles, par exemple en démontrant que la partie qui assiège refuse complètement l’aide humanitaire ou l’évacuation de civils.»
Violations massives
La 4e Convention de Genève, qui porte notamment sur la protection des civils dans les territoires occupés, est, quant à elle, violée massivement par Israël sur les territoires palestiniens occupés. «Cela a été reconnu par un nombre considérable d’organes internationaux, pointe Gloria Gaggioli. Récemment, la Cour internationale de justice a démontré que l’occupation par Israël des territoires palestiniens est devenue illégale du fait de leur annexion de facto et de la violation du droit à l’autodétermination des palestiniens. Pour arriver à cette conclusion, la Cour a mis en évidence les violations du droit de l’occupation qui sont mentionnées dans la 4e Convention de Genève, c’est-à-dire modifier le statut des territoires, ne pas maintenir le statu quo et user excessivement de la force contre les Palestiniens. Dans ce conflit, on constate donc des violations graves de part et d’autre: avec, par exemple, le recours à des méthodes terroristes de la part du Hamas et d’autres groupes jihadistes, comme les attaques du 7 octobre 2023.»
En l’absence de tribunal portant spécifiquement sur le droit international humanitaire, il n’est cependant pas toujours facile de faire respecter les Conventions de Genève. «Il existe plusieurs mécanismes pour y parvenir, précise la professeure. Le premier consiste à former les porteurs d’armes aux Conventions de Genève et au droit humanitaire. Un effort qui est fait dans les armées régulières, mais pas systématiquement au sein des acteurs non étatiques, soit des groupes armés qui vont prendre part à des conflits, pour un État ou pour leur propre compte. C’est pourquoi certaines organisations humanitaires, comme le CICR ou l’Appel de Genève, cherchent à instaurer un dialogue avec ces groupes et à les former.»
Le respect du droit humanitaire passe aussi par des agissements de la communauté internationale. Il existe dans l’article 1, commun aux Conventions de Genève, une obligation de respecter et de faire respecter le droit humanitaire. C’est-à-dire que tous les États de la communauté internationale se doivent d’agir lorsqu’une partie belligérante viole le droit humanitaire. «C’est un pouvoir d’influence, indique Gloria Gaggioli. Par exemple, dans la guerre d’agression menée par la Russie, les États européens et occidentaux soutiennent l’Ukraine. Ils ont donc une influence importante sur les agissements de l’Ukraine. Quand on sait que des actes de torture sont commis par l’Ukraine,comme par la Russie, ou que le pays hésite à ouvrir ses portes au CICR pour visiter des prisonniers de guerre, une réaction est attendue de leur part.»
Sinon, il reste la répression, c’est-à-dire la possibilité de poursuivre des criminels de guerre au niveau national ou international. «La justice pénale internationale est un bon moyen de mettre en œuvre le droit humanitaire, mais il faut être conscient qu’elle a ses limites, poursuit-elle. Il n’est pas possible de poursuivre tous les criminels de guerre. Ces jugements seront des exemples qui permettront de faire la lumière sur ce qu’il s’est passé et d’apporter un certain remède aux victimes.»
Il faut aussi prendre en compte la responsabilité internationale des États. Comment un État peut-il être tenu responsable de violations du droit international humanitaire? La Cour européenne des droits de l’homme va devoir se prononcer prochainement sur des violations des droits humains – et indirectement du droit humanitaire – commises par la Russie en Ukraine dans les mois qui ont suivi l’invasion à grande échelle du 24 février 2022. Autre exemple: l’Afrique du Sud a introduit une requête auprès de la Cour internationale de justice par rapport à des actes de génocide allégués commis par Israël à Gaza. Des développements importants sur le sujet sont attendus dans les mois à venir.
«Même lorsque la Cour internationale de justice prend une décision ou donne un avis consultatif non contraignant, le Conseil de sécurité des Nations unies est bloqué, dysfonctionnel, observe la juriste. Il devrait en théorie pouvoir faire respecter les décisions de la Cour internationale de Justice et le droit international humanitaire. Il peut aller jusqu’à autoriser l’usage de la force pour faire cesser des violations graves du droit humanitaire. Le le système actuel est cependant dépourvu de police internationale fonctionnelle, car certains des États qui commettent de graves violations font partie des membres permanents du Conseil de sécurité – la Russie se protège et les États-Unis protègent Israël en faisant usage de leur veto.»
Faudrait-il pour autant mettre à jour les Conventions ou en créer une cinquième? Selon Gloria Gaggioli, bien que les Conventions de Genève datent de 1949, elles demeurent tout à fait pertinentes. «La plupart des violations sont identifiées grâce à ces textes, constate-t-elle. Les dispositions du droit humanitaire sont encore valables, le problème réside dans l’absence de moyens pour faire respecter ce droit.» Rouvrir les Conventions de Genève à la négociation serait même, selon elle, tout à fait suicidaire. «Je ne pense pas que nous aurions des conventions aussi solides et protectrices si elles étaient renégociées aujourd’hui. Nous sommes dans un système polarisé avec des puissances qui ont tout intérêt à ce que le droit humanitaire ne se développe pas, voire à ce qu’il rétrograde.»
Quant à l’idée d’inscrire les Conventions de Genève au Patrimoine mondial de l’humanité, qui a fait l’objet d’une conférence donnée dans le cadre de la Semaine des droits humains lundi dernier, n’est en revanche pas mauvaise aux yeux de la spécialiste. «D’un point de vue juridique, cela n’apporterait pas grand-chose, mais d’un point de vue symbolique, c’est une très belle initiative, explique-t-elle. C’est une façon de les mettre en valeur et d’attirer l’attention internationale sur elles.»