3 octobre 2024 - Chams Iaz

 

Analyse

À Gaza, comment penser au jour d’après dans un présent chaotique?

Le Centre d’études humanitaires a publié un rapport sur la reconstruction de Gaza. Optimiste, mais loin d’être illusoire, cette analyse estime que le rétablissement du système de santé par le peuple palestinien est une priorité.

 

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Un bâtiment effondré dans la ville de Gaza, suite à un bombardement israélien sur l'école gouvernementale palestinienne Muscat, le 2 octobre 2024. Image: O. Al-Qattaa/AFP


Le jour d’après, c’est quoi? «Personne ne le sait, mais ça ne nous empêche pas d’y réfléchir», répond Karl Blanchet, professeur à l’Institute of Global Health (Faculté de médecine) et directeur du Centre d’études humanitaires, qui a publié le 19 septembre dernier un rapport intitulé «Gaza: leadership et reconstruction pour le ‘jour d’après’».

«Nous sommes dans un monde d’incertitudes, les nouvelles sur ce qui se passe sur place sont catastrophiques, constate Karl Blanchet. Nous observons une expansion des bombardements et des combats au Liban et nous ignorons si nous ferons bientôt face à une escalade régionale ou internationale. Selon Sultan Barakat, professeur à la Bin Khalifa University au Qatar, affilié au Centre d’études humanitaires, en qualité d’Academic Fellow et auteur du rapport, il ne faut en tout cas pas s’empêcher de réfléchir à l’après et de s’y préparer.


Le directeur du Centre d’études humanitaires estime que ce document constitue une analyse fine des enjeux auxquels la région, et en particulier la Palestine, est confrontée aujourd’hui. Entre autres: une impasse politique, des engagements compliqués de la part des pays arabes et l’implication des États-Unis. «L’intelligence des auteurs, c’est d’avoir su percevoir que de ce chaos – diplomatique et politique – il y a un certain nombre de principes à extraire, des idées qui peuvent favoriser la réflexion pour une reconstruction», se réjouit-il.

Selon Sultan Barakat et son adjoint, le docteur Paul Porteous, coauteur du rapport, la reconstruction de Gaza doit en premier lieu avoir pour objectifs «le bien-être et le progrès du peuple palestinien dans une région sûre et stable», alors même que, jusqu’ici, «les multiples objectifs de la reconstruction ont subordonné le bien-être des Palestiniens [et Palestiniennes] aux priorités des bailleurs de fonds, à la concurrence entre les agences, au contrôle militaire israélien et [aux] projets d’infrastructure».

Les deux auteurs qualifient la situation actuelle à Gaza de «sans précédent» tant la population est détruite et disloquée. «Les Gazaouis doivent retourner dans leurs habitations, retrouver la possession de leurs terres, reprend Karl Blanchet. Ce retour sera lent et long, car il devra être accompagné d’un processus de dépollution des eaux, de projets de déminage et d’efforts pour restaurer des services de base tels que l’accès à la santé et à l’éducation.»

Dans cette perspective, la reconstruction du système de santé apparaît comme un préalable indispensable à la réconciliation politique, au retour de la paix sociale, mais aussi à la sauvegarde de l’identité culturelle des populations locales. «Il est crucial que le système de santé à Gaza – et sans doute qu’il y aura la même réflexion en Cisjordanie – soit rétabli par un leadership palestinien, pointe Karl Blanchet. Aujourd’hui, ce sont les Palestiniens qui prodiguent les soins de santé sur le terrain. Ce sont eux qui apporteront les solutions et leurs idées pour construire le système de demain.»

Un autre axe de réflexion consiste à protéger cet espace géographique en donnant un peu de temps au temps. «Il s’agirait de placer le territoire sous la surveillance d’une institution internationale», suggère Karl Blanchet. Idéalement, le rapport préconise la mise sur pied d’une UNTA (United Nations Transitional Authority) pour Gaza (ou UNTAG). Selon le spécialiste, une autorité provisoire des Nations unies permettrait l’émergence de pistes de reconstruction en garantissant un espace plus serein et sûr comme cela s’est déjà passé dans d’autres pays, dont la Bosnie, après une guerre.

Karl Blanchet et son confrère Sultan Barakat sont tous deux membres de la Gaza Health Initiative (lire encadré), une plateforme qui réunit des organisations et des individus qui se soucient du rétablissement du système de santé à Gaza. C’est lors d’une rencontre en Jordanie au mois de mars 2024 que l’idée de ce rapport a émergé. «Nous nous sommes demandé comment nos universités, à Doha et à Genève, pourraient collaborer, rappelle le premier. Avec New York, ces villes constituent en effet le cœur de la diplomatie humanitaire.»

Leurs échanges réguliers les ont conduits à envisager la création d’un programme commun de cours et à chercher des fonds pour le financer. «Nous souhaitons proposer un cursus en anglais et en arabe à Doha et à Genève, destiné aux personnes qui occuperont des positions importantes à Gaza, les futurs managers ou leaders, précise Karl Blanchet. L’idée est de leur donner des outils de réflexion, mais aussi techniques pour travailler sur la reconstruction du territoire et des populations.»

L’UNIGE s’engage sur le terrain

L’UNIGE s’engage dans les zones de conflit au travers de plusieurs actions. En août, elle a rejoint la Gaza Health Initiative (GHI) en signant un Memorandum of Understanding (MoU). Ce partenariat d’envergure internationale a pour objectif de reconstruire le système de santé à Gaza, ce qui permettrait notamment aux étudiantes et étudiants en médecine et en pharmacie de reprendre leurs études, interrompues par la guerre. L’UNIGE apportera son expertise technique et académique.
Les programmes déjà en place tels qu’InZoneHorizon académique et Scholars at Risk seront par ailleurs renforcés. InZone, dont la mission est de dispenser un enseignement supérieur dans les zones de guerre, est actuellement déployé en Jordanie, au Kenya et au Niger. Il pourrait être étendu à Gaza lorsque les conditions de sécurité seront réunies. Quant aux deux autres dispositifs, ils se préparent à accueillir respectivement des étudiants et étudiantes ainsi que des scientifiques impacté-es par le conflit.
À noter également qu’à la rentrée académique 2024-2025, le MAS en action humanitaire accueillera deux étudiantes palestiniennes.

 

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