15 février 2022 - UNIGE

 

Analyse

Faire face au déluge des images grâce au numérique

Les images sont partout: sur nos téléphones, nos téléviseurs, au cinéma ou dans la presse illustrée du salon de coiffure. Ce déluge d’images fait peur et fait craindre un nivellement culturel par le bas, une mondialisation par l’image. Pourtant, la recherche à ce sujet en est à ses balbutiements. Ce sera l’objet de la Leçon d’ouverture du semestre de printemps.

 

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Image: DR


Affiches, photographies, cartes postales, cinéma: depuis la fin du XIXe siècle, des quantités vertigineuses d’images sont produites et ce phénomène s’est encore accentué avec le numérique. Mais que disent-elles de nos valeurs, de nos cultures? Ce déluge est souvent perçu comme une homogénéisation culturelle regrettable. Pour comprendre comment s’est produite cette mondialisation par l’image, le défi est d’étudier ces milliards d’images, présentes ou passées, que nous n’avons pas vues et ne verrons jamais. C’est le thème de la Leçon d’ouverture du semestre de printemps, proposée par Béatrice Joyeux-Prunel, professeure à la Faculté des lettres et titulaire de la Chaire en humanités numériques. Entretien en vidéo.

 

 

Comment le numérique est-il utilisé pour étudier les images?
Béatrice Joyeux-Prunel: Les images sont des pixels que l’on peut analyser ou comparer. Mais pas seulement. Elles ont aussi un contexte, souvent textuel: dans son lieu de production ou de reproduction, l’illustration est entourée de textes que l’on peut étudier. On a d’ailleurs parfois plus de textes que d’images, à l’instar de celles qu’on ne peut plus voir aujourd’hui mais qui sont décrites par des textes.

Comment parler d’images qu’on n’a jamais vues?
Les éléments textuels nous permettent d’analyser leur contenu, mais aussi leur contexte – qui a fait quoi et quand? – ainsi que leur géographie – où ont-elles été produites, par qui et comment? Il y a des images – et cela en concerne des millions – dont on ne possède que le visuel, la date et le lieu de publication ou de production. Ces informations nous permettent de reconstituer leur circulation ainsi que leur vitesse de diffusion. On peut ainsi identifier quelles sont les images qui ont eu le plus de succès et déduire des éléments sur leur contexte.

Quelle est votre méthodologie?
Nous rassemblons de très gros corpus d’imprimés du passé qui ont été numérisés et nous les traitons à l’aide d’algorithmes de vision artificielle. Ceux-ci nous permettent d’extraire les images, de les comparer les unes aux autres et de voir quels sont les motifs qui ont été le plus reproduits. Comme une date et un lieu de publication sont associés à chaque image, nous pouvons tracer la circulation de certains motifs dans le monde entier.

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Béatrice Joyeux-Prunel

Pourquoi ce sujet est-il important?
Parce que cela nous permettra de parler de manière plus nuancée. Nous avons en effet trop tendance à juger comme problématiques la mondialisation et le déluge des images. Cela nous permettra également de mieux comprendre ce qui se passe dans la production des images, ces sortes d’épidémies visuelles qui nous touchent toutes et tous. Et peut-être que cela nous permettra aussi de relativiser l’idée que le monde serait centré sur l’Amérique du Nord ou aurait été, avant 1945, centré sur Paris.

Sait-on combien d’images sont en circulation dans le monde?
Non, et on ne le saura probablement jamais, parce que les outils de mesure nous manquent, et parce que les images circulent et se reproduisent très vite.

Sait-on encore regarder une image?
On a toujours su regarder les images et, en même temps, on n’a jamais su les regarder. Ça se réinvente chaque jour, à chaque fois, à chaque image peut-être. Pour mieux les observer, il faut trouver des idées et des techniques. Les outils numériques sont là pour nous y aider, mais nous avons aussi besoin de notre intelligence et de notre érudition.

Les réseaux sociaux ont-ils changé notre rapport aux images?
Avec les réseaux sociaux, les images circulent extrêmement vite. Nous sommes par ailleurs devenus des prosumers ou prosommateurs, c’est-à-dire des producteurs/trices en même temps que des consommateurs/trices. Enfin, une dimension affective s’est ajoutée à la circulation des images: on aime, on n’aime pas, on déteste, on commente. Cela a rendu la circulation des images beaucoup plus aiguë, plus sensible, en particulier sur le plan politique.

COMMENT PARLER D'IMAGES QU'ON N'A JAMAIS VUES?
Les sciences humaines face au déluge des images

Leçon d'ouverture de printemps
Conférence de Béatrice Joyeux-Prunel, professeure à la Faculté des lettres, Chaire des humanités numériques, Université de Genève

Mardi 22 février 2022 | 18h30
Uni Dufour, sur inscription, et en ligne.

 

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