Lesquels?
Le premier type de changement est lié à des emprunts, généralement à l’anglais comme cluster, tracking ou lockdown. Ce dernier mot a aussi souvent été utilisé dans sa forme traduite en français de «confinement». Des emprunts issus de langues anciennes ont également été effectués: les noms donnés aux variants du virus sont par exemple les lettres du grec ancien (delta, omicron, etc.).
Quelles autres modifications ont affecté la langue?
L’apparition de néologismes, avec des mots créés grâce à la fusion de deux autres. On a vu notamment apparaître coronapéro, skypéro, coronapiste, quarantini (fusion entre quarantaine et Martini, plutôt utilisé en France et au Royaume-Uni), covidiot, coronasceptique ou encore covid long, qui sera introduit pour sa part dans Le Larousse 2022, récemment présenté. Le mot «vaccinodrome» fera aussi son apparition dans le nouveau dictionnaire: il représente un exemple intéressant de mot-valise, un mot qui en évoque deux autres. Par ailleurs, de nombreuses métaphores ont été utilisées pour décrire la situation vécue. Dans le cas du coronavirus, elles ont pris la forme du combat. On se rappelle toutes et tous de la phrase d’Emmanuel Macron: «Nous sommes en guerre», prononcée six fois lors de son allocution du 16 mars 2020. De nombreux termes, qui ne sont pas nouveaux, sont ainsi apparus dans la communication avec l’idée d’un combat contre le virus: ennemi, tranchée, front, première ligne, isolement, combat, victoire, vaincre ou encore les héros et héroïnes incarné-es par le personnel soignant, tous sont des métaphores belliques.
Certains mots existaient donc déjà?
La signification de certains mots a en effet été adaptée pour pouvoir répondre à la situation. Par exemple, dans cette crise, la «vague» a été utilisée pour indiquer que les contagions augmentaient. Dans le passé, «se masquer» ou «porter un masque» indiquaient qu’on se rendait au carnaval ou à un bal masqué, «geste» et «barrière» étaient deux termes qui n’étaient jamais employés ensemble… Certains mots ont vu leur incidence augmenter énormément dans le langage quotidien comme «vaccin» ou «sérologie». Mais le lexique spécialisé des médecins ou des immunologues n’a peut-être pas toujours été repris de la bonne manière… Les traces de ces transformations et de ces intégrations vont probablement s’observer pendant des années, voire des décennies. J’en veux pour preuve que plusieurs expressions italiennes utilisent encore le mot «lire», par exemple, alors que cette monnaie ne circule plus depuis vingt ans.
Pourquoi ce besoin de réinventer le vocabulaire?
La crise a eu une telle ampleur sociale, économique et médicale que le même phénomène a été observé dans toutes les langues. Attribuer un nom aux choses nous permet de mieux les connaître, de les reconnaître par la suite, tout en nous donnant l’impression de pouvoir les dominer. C’est une manière d’exorciser la peur. De leur côté, les mots ludiques qui ont été inventés servent à dédramatiser la situation et à relâcher la tension. L’incidence du phénomène coronavirus sur la langue est observable (170 mots en 2022 contre une moyenne de 150 mots par an pour Le Larousse). La différence n’est pas énorme en termes quantitatifs, mais il faut se rappeler que beaucoup des nouveaux mots utilisés existaient déjà, c’est leur sens qui a été adapté.
Quel est votre regard sur la communication de crise qui a été adoptée en Suisse?
La communication à plusieurs voix faite depuis Berne, à un moment précis de la semaine et avec plusieurs traductions, répondait aux besoins des citoyen-nes. Ce point de situation visait à rassurer tout en essayant de répondre aux questions de la population. La voix institutionnelle est très importante, elle s’adresse à l’ensemble de la population, à tous les niveaux et à toutes les couches sociales, elle doit donc être assez complète sans être trop spécifique pour pouvoir être comprise par toutes et tous. La phrase d’Alain Berset «Il faut agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire» a, par exemple, fait un tabac. Cette agrégation de mots a donné un poids important à la parole, avec un côté apaisant, qui visait à tranquilliser. Il faut par ailleurs souligner la responsabilité de chacun et de chacune (autorités, médias, individus) dans la diffusion de l’information en temps de détresse. Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a d’ailleurs déclaré dans son discours du 15 février 2020: «Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous combattons aussi une "infodémie"», un néologisme apparu lors de l’épidémie de SRAS et dont la première occurrence a été relevée dans l’édition du 11 mai 2003 du Washington Post.