Chaque année, 50 tonnes de plastiques échouent dans les eaux du Léman. Acheminés principalement par les eaux de ruissellement, ces déchets atteignent d’abord les rives et les plages. Le projet Pla’Stock vise à déterminer la quantité et l’origine de ces fragments, grâce à la participation d’une centaine de volontaires chargé-es d’inspecter 25 plages tout autour du Léman. Les scientifiques examinent ensuite en laboratoire les échantillons prélevés, afin d’en extraire les résidus microplastiques. Cette analyse, qui fait appel à la microscopie infrarouge, permet de déterminer avec précision la composition des plastiques récoltés et, idéalement, les sources de la pollution. Ce travail de longue haleine, qui devrait s’étendre jusqu’en 2023, implique deux étudiantes du Master universitaire en sciences de l’environnement (MUSE), Coline Guinier et Louise Uhlmann, chargées d’effectuer les analyses sous la supervision de Serge Stoll, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des sciences, d’Angel Negrete Velasco, doctorant, et de ses collègues.
Une première étude menée par l’EPFL en 2018 avait identifié, comme principales sources de la pollution microplastique, les poussières de pneus, les résidus d’emballage, les déchets de construction et les textiles. «Mais beaucoup reste à faire pour connaître la nature exacte, la provenance et l’acheminement de cette pollution sur les plages», estime Serge Stoll.
Microplastiques voyageurs
Certains dépôts peuvent en effet être aériens. Dans une étude publiée en 2020, Serge Stoll et ses collègues, en collaboration avec l’association Odysseus 3.1, ont été les premier-ères à montrer que même les lieux a priori les mieux préservés sont contaminés par les microplastiques. Situé à plus de 2000 mètres d’altitude dans les Alpes tessinoises, loin du réseau routier et difficile d’accès, le lac Sassolo présente une surface immaculée, recouverte d’une épaisse couverture de glace une bonne partie de l’année. Et pourtant les analyses menées dans le cadre de cette étude ont révélé dans sa colonne d’eau la présence de 2,6 microplastiques et 4,4 fibres plastiques par litre, en moyenne. «Il s’agit clairement d’une pollution d’origine atmosphérique, commente le chercheur. Ce sont des résidus de plastiques produits potentiellement à des milliers de kilomètres qui voyagent dans l’atmosphère et se déposent sur les montagnes par sédimentation.» Avec le temps, ils ruissellent jusque dans les régions de plaine.
Les microplastiques récoltés sur les plages du Léman peuvent aussi provenir des stations de traitement des eaux usées. «Même si les stations d'épuration des eaux usées (STEP) sont efficaces et filtrent 99% des microplastiques, le 1% restant affiche des concentrations élevées, entre une et dix particules par litre, ce qui reste important au regard du volume des effluents de STEP», précise Serge Stoll. Cette pollution provient en partie des fibres synthétiques relâchées par les vêtements passés à la machine à laver, du transport routier par abrasion des pneus, des produits cosmétiques ou encore des emballages abandonnés dans l’environnement. Et les masques chirurgicaux, fabriqués avec des fibres en polypropylène, ont encore aggravé ce phénomène ces dernières années.
Nanoplastiques de polystyrène (sous forme de billes) adsorbés sur charbon actif et visualisés par microscopie électronique. Photo: Lina Marcela Ramirez Arenas/UNIGE
Les effets de cette pollution sur les organismes sont encore mal connus, si ce n’est une surmortalité constatée chez certains micro-organismes. Mais il ne fait aucun doute que nous en ingurgitons une partie dans la nourriture, dans l’eau potable et que nous en avons dans l’air que nous respirons. Avec le temps, les microplastiques finissent eux-mêmes par se désagréger en particules plus fines. En-dessous du micromètre, les scientifiques parlent de nanoplastiques, plus difficiles à détecter et dont l’impact est particulièrement inquiétant, puisqu’ils sont susceptibles de franchir les barrières biologiques. «Ils peuvent passer du système digestif au système sanguin, par exemple. Une étude récente a montré leur présence dans le sang humain», précise Serge Stoll. Pour ne rien arranger, les plastiques contiennent souvent un cocktail d’additifs, qui permettent de les colorer, de les rendre plus ou moins souples ou rigides. Parmi ces molécules figurent des phtalates connus pour agir comme des perturbateurs endocriniens.
À ce stade, on s’attendrait à déceler une pointe de découragement dans les propos du chercheur. Mais il n’en est rien. «Il est important de faire prendre conscience au public et aux autorités de l’ampleur de la contamination, souligne Serge Stoll, car celle-ci va au-delà de nos prévisions les plus pessimistes. Mais il est tout aussi crucial de montrer que des solutions existent. Elles passent d’abord par une limitation de l’usage compulsif des plastiques, puis par le développement de substituts de plus en plus biodégradables.»