23 mars 2023 - Rachel Richterich

 

Analyse

Depuis un demi-siècle, l’accord fiscal transfrontalier structure le Grand Genève

Socle constitutif de l’écosystème économique de la région, la convention franco-genevoise sur la rétrocession fiscale pour les travailleurs/euses frontaliers/ères fête ses 50 ans cette année. Le Global Studies Institute y consacre une journée d’études le 23 mars.

 

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Douane franco-suisse de Bardonnex, un jour de semaine. Image: S. Di Nolfi/Keystone

 

C’est un tournant majeur dans l’histoire économique de la région. Signé en 1973, l’accord franco-genevois de compensation fiscale relatif au travail frontalier a servi de socle au développement du Grand Genève. «Il est la colonne vertébrale de cet écosystème bien particulier qui s’est mis en place au fil des décennies au bout du Léman», souligne Nicolas Levrat, directeur du Global Studies Institute (GSI).


À la fin des années 1960, Genève est en plein boom économique, les entreprises font face à un manque de main-d’œuvre et recrutent de l’autre côté de la frontière. En vertu de la souveraineté fiscale, un État peut imposer à la source les revenus d’un-e travailleur/euse non résident-e. C’est la solution choisie par le canton.

Éviter la double imposition

Les communes de France voisine sont confrontées à un afflux de population qui les oblige à développer des infrastructures coûteuses telles que des crèches, des écoles ou des services de voirie. Le tout, sans bénéficier d’impôts supplémentaires, puisque taxer ces nouveaux/elles travailleurs/euses en faisant aussi valoir sa souveraineté fiscale reviendrait à les imposer doublement.

Afin de remédier à cette situation qui ne leur permet pas de remplir leurs missions de pouvoir public et qui pèse sur l’économie locale, une délégation menée par le maire de Viry Henri Chevalier prend contact avec l’exécutif genevois afin de demander une compensation. Sous l’impulsion du conseiller d’État genevois Jean Babel, les deux parties conviennent d’un accord, validé par le Conseil fédéral et le gouvernement français en 1973: Genève reverse depuis à la France 3,5% des salaires bruts des travailleurs/euses frontaliers/ères.

Des centaines de millions de francs reversés

Aujourd’hui, ce sont plus de 100’000 travailleurs/euses français-es qui traversent la frontière pour venir exercer leur métier dans le canton de Genève. Et la compensation reversée au voisin français a atteint 343 millions de francs l’an dernier pour une masse salariale qui avoisine les 10 milliards de francs.

Hasard du calendrier, l’anniversaire de cette convention intervient en pleine campagne électorale à Genève, période qui habituellement cristallise les tensions autour du travail frontalier. «Le sujet demeure sensible et l’accord est régulièrement remis en question. Le recours plus fréquent des frontaliers/ères au télétravail depuis la pandémie a soulevé une nouvelle fois la question de leur taxation, puisque leur lieu de télétravail n’est plus Genève», illustre Nicolas Levrat. Difficile cependant de se passer de cette main-d’œuvre, puisque «à Genève, on compte trois postes pour deux travailleurs/euses sur place. Dans le même temps, le canton veut éviter de densifier davantage le territoire», insiste Nicolas Levrat.

«La situation est cependant moins aiguë qu’il y a quelques années», observe Grégoire Carasso, spécialiste de la fiscalité directe au sein de l'Union européenne et adjoint au Rectorat. «Les deux parties ont sans doute conscience de l’intérêt que cela représente pour chacune d’elles de privilégier la voie de la coopération.»

Créer un pot commun?

Cette collaboration pourrait aller plus loin en s’institutionnalisant, selon lui. «Avec par exemple la constitution d’un pot commun dans lequel chaque partie reverserait un petit pourcentage de l’argent perçu et dont un mini-parlement composé d’élu-es de chaque côté de la frontière déciderait de l’allocation», propose-t-il comme projet pour marquer les cinquante années à venir. Même si, chaque année, un comité franco-genevois se réunit depuis 1973, il n’a aucune compétence sur la manière d’allouer ces fonds, cette responsabilité relevant exclusivement des autorités françaises.

50 ANS DE L’ACCORD ENTRE GENÈVE ET LA FRANCE
 SUR LA RÉTROCESSION FISCALE POUR LES TRAVAILLEURS FRONTALIERS

Journée d’études

Jeudi 23 mars | 9h à 18h | Villa Moynier, rue de Lausanne 120b, Genève 

 

Analyse