30 avril 2020
«Les inégalités risquent de s’aggraver avec
le déconfinement»
La crise sanitaire pourrait exacerber les inégalités. Mais elle offre aussi une opportunité d’élargir et de renforcer la protection sociale. L’analyse de Jonas Pontusson, professeur au Département de science politique et relations internationales
En théorie, le coronavirus agit sans discrimination, s’attaquant aux riches comme aux pauvres. La réalité de ces dernières semaines a cependant démenti ce présupposé. Même s’il est encore tôt pour s’appuyer sur des données scientifiques à ce sujet, certaines différences apparaissent d’ores et déjà. Les citadin-es sont plus exposé-es que les habitant-es des campagnes, la promiscuité favorisant la propagation du virus. Lorsqu’elles sont infectées, les personnes issues de milieux socio-culturels défavorisés, comme les plus âgées, risquent davantage de subir des complications, parce qu’elles sont sur-représentées parmi la population atteinte de maladies chroniques, comme l’hypertension, le diabète ou l’obésité.
Aux États-Unis, des services de traçage des données mobiles de quelque 15 millions d’utilisateurs et d'utilisatrices ont montré que, si le niveau de déplacement s’est fortement ralenti de manière générale depuis le début de la crise sanitaire, ce ralentissement est nettement plus marqué dans les foyers à hauts revenus, qui limitent ainsi leur risque d’infection, tandis que les personnes exerçant des travaux à bas salaire ont continué à devoir se déplacer (1).
Le confinement dans un HLM est moins enchanteur que dans une résidence de campagne
Les conditions de logement ont encore accentué ce premier constat d’inégalités. Assurément, le confinement dans un HLM de banlieue est moins enchanteur que dans une résidence secondaire de campagne. Les personnes les plus aisées ont donc adopté sans trop de contraintes les possibilités offertes par le télétravail, disposant de plus d’espace et de meilleures connexions internet. Les plus pauvres se sont pour la plupart retrouvées sans travail du jour au lendemain.
La crise du Covid-19coronavirus marque-t-elle pour autant une aggravation profonde et durable des inégalités? Professeur au Département de sciences politiques et relations internationales (Faculté des sciences de la société), Jonas Pontusson se garde d’apporter des réponses hâtives, faute de disposer de données suffisamment fiables à ce stade. Selon lui, toutefois, les facteurs aggravants risquent de se manifester, surtout dans la phase de déconfinement qui s’ouvre maintenant. D’un autre côté, le climat politique pourrait favoriser des réformes visant à assurer une meilleure protection à l’égard des populations vulnérables.
«Durant le pic de l’épidémie, les personnes empêchées de travailler, pour la plupart des employées dans les secteurs de la vente, de la restauration et d’autres services, sont restées chez elles, tout en continuant à percevoir un salaire, grâce à l’intervention massive des États. En d’autres termes, d’un point de vue purement économique, la plupart des gens ont été jusqu’ici placés sur un pied d’égalité», observe Jonas Pontusson.
Lorsque l’économie va redémarrer, toutefois, ces mêmes individus retourneront sur leur lieu de travail, en s’exposant à des risques importants d’infection dans des métiers qui permettent difficilement de maintenir la distance sociale. «Supposons que ces personnes soient placées en quarantaine pendant plusieurs semaines parce qu’elles ont été en contact avec des sujets infectés. Continueront-elles à toucher leur salaire et, si ce n’est pas le cas, comment seront-elles indemnisées? Une situation de ce type se prolongeant durant six ou neuf mois, voire une année, va représenter un sérieux casse-tête pour le système d’assurances sociales», estime le politologue.
«Cette crise établit un lien entre les risques liés au cycle biologique et l'accès au marché du travail»
Employé de la voirie à Mulhouse (France), le 24 avril 2020. Photo: S. Bozon/AFP
Les programmes dans les domaines de la vieillesse et de la maladie, du risque biologique en général, génèrent une assez forte adhésion aussi bien de la part des citoyen-nes que des partis politiques. Tout le monde se sent concerné. La crise sanitaire pourrait par conséquent inciter les électeurs et les électrices à soutenir un renforcement des systèmes de couverture de santé, là où ces systèmes sont défaillants. Jonas Pontusson cite le cas du Royaume-Uni. Même si les citoyen-nes britanniques ont régulièrement manifesté leur attachement à leur service de santé national (NHS), d’autres facteurs sont intervenus pour leur faire accepter des coupes dans les budgets de cette institution et les tentatives pour la renforcer ont jusqu’ici échouées. Mais cela pourrait changer.
On observe en revanche beaucoup plus de polarisation lorsqu’il s’agit de mesures visant les conditions de travail et les inégalités de revenus. La responsabilité individuelle tend plus souvent à être invoquée dans ce cas. On blâmera les chômeurs et les chômeuses, soupçonné-es de ne pas travailler assez dur ou de ne pas avoir suffisamment investi dans leur formation. Aujourd’hui, toutefois, il est plus difficile d’imputer à une personne la responsabilité d’avoir perdu son emploi, lorsque son employeur a fermé son commerce en raison de la pandémie.
Cette crise établit par conséquent un lien entre les risques liés au cycle biologique et l’accès au marché du travail. «C’est un phénomène nouveau et intéressant, favorable à des réformes progressistes», estime Jonas Pontusson. La pandémie aura certainement ouvert les yeux d’une partie de la population sur les conditions de travail dans certaines branches, et pas uniquement dans le secteur de la santé. Les électeurs pourraient donc trouver normal que les travailleurs et travailleuses assumant un rôle essentiel dans la société, comme le ramassage des ordures ou la vente de produits de première nécessité, qui les exposent à des risques accrus d’être infecté-es, perçoivent des compensations et bénéficient d’une meilleure protection. Par ailleurs, les employeurs dans ces métiers devront peut-être revoir à la hausse les salaires versés afin d’attirer des candidat-es.
(1) «Location Data Says It All: Staying at Home During Coronavirus Is a Luxury», New York Times, 4 avril 2020
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