La tentation complotiste

Le nouveau coronavirus aurait été créé par l’humain, il se serait échappé d’un laboratoire chinois de haute sécurité, il aurait été diffusé par les Américains pour mettre l’économie chinoise à genoux, ou sa propagation aurait bénéficié d’un affaiblissement du système immunitaire de la population lié à l’expansion des antennes 5G… Autant de théories qui abondent sur les réseaux sociaux depuis le début de la pandémie. Inquiétantes, farfelues, voire carrément ahurissantes, ces dernières ont éveillé l’attention de Giulia Valsecchi, doctorante à l’Unité de psychologie sociale

eJournal: Que dit la psychologie sociale sur l’émergence de ces théories conspirationnistes?
Giulia Valsecchi: Différents mécanismes peuvent expliquer l’émergence de ces théories. Parmi plusieurs facteurs, la psychologie sociale a mis en évidence le rôle joué par le sentiment d’anomie, soit l’impression de chaos. La période que nous traversons actuellement est caractérisée par une confusion inédite: les informations circulent vite et changent de jour en jour, les États répondent chacun très différemment à la crise et de manière parfois contradictoire, la population doit s’adapter à des modes de fonctionnement complètement nouveaux. Cette situation peut engendrer un sentiment de désordre social, ce qui a pour effet d'augmenter l’adhésion aux théories conspirationnistes.

Quels mécanismes entrent en jeu dans ce phénomène?
L’être humain ressent le besoin fondamental de donner du sens aux événements qu’il traverse. De telles théories permettent de trouver une explication simple à des événements complexes, d’avoir un sentiment de contrôle sur la situation et de retrouver un certain calme. Les recherches ont également mis en évidence le fait que les individus souffrant d’anomie ont tendance à se replier sur des valeurs traditionnelles. Ils cherchent à retrouver ce qu’ils connaissent déjà, des lieux où ils se sentent protégés et où ils ont le sentiment de maîtriser l’environnement. On observe par ailleurs que plus une personne adhère à une théorie conspirationniste, plus elle aura tendance à s’aligner sur d’autres opinions du même type.

Quelles sont les conséquences de telles opinions sur la société?
Ces théories ont pour effet de détourner l’attention de la réelle nature du problème, ce qui a pour conséquence que celles et ceux qui y adhèrent pourraient se comporter de manière moins adéquate pour se prémunir de la contamination. Un tel détournement s’observe aussi dans la crise environnementale où les théories du complot conduisent à la déresponsabilisation des citoyennes et des citoyens, les empêchant de mettre en œuvre la seule solution efficace, celle de moins polluer. En outre, ces théories ont des effets négatifs sur les relations intergroupes. On l’a bien vu, l’idée que le coronavirus aurait été transmis à l’humain via la consommation de chauves-souris a alimenté les préjugés contre les Chinois et a diminué la tolérance envers leurs coutumes culinaires.

Pourquoi ces théories ont-elles émergé en si grande quantité?
Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, les informations transmises par le gouvernement helvétique ont essentiellement fait référence au nombre de nouvelles contaminations, à la quantité de décès ou aux symptômes de la maladie. Il n’y a pas eu grand-chose pour expliquer l’apparition du virus et les théories conspirationnistes ont pu proliférer sur cette absence de discours. Informer les citoyennes et les citoyens sur les raisons scientifiques de son apparition aurait pu permettre à une partie de la population d’être rassurée et de centrer son attention sur les meilleures façons de prévenir la contagion.

Peut-on identifier un profil-type des personnes susceptibles d’adhérer aux théories du complot?
De nombreuses recherches en psychologie sociale ont montré que la capacité d’adhésion à de telles théories était influencée par des facteurs individuels, cognitifs ou sociaux, comme une faible estime de soi, un QI moindre, certaines pathologies mentales ou un environnement social défavorisé. Une autre caractéristique est la tendance de certaines personnes à établir des liens là où il n’y en a pas. Mais il faut savoir que tout individu est susceptible d’adhérer un jour à une théorie de ce type en fonction du contexte, notamment quand le sentiment de désordre social devient trop fort.