Publié le 14 mai 2020
Le succès des mesures de confinement dépend de la qualité du rapport à l’autorité
D’un pays à l’autre, les mesures de confinement sont perçues différemment. Selon Emanuela Ceva, professeure de théorie politique, ces différences s’expliquent en partie par la façon dont les gouvernements communiquent les raisons de leurs décisions
Manifestation de commerçants contre les mesures de confinement du gouvernement italien à Trieste, le 9 mai 2020. Photo: H. Lucas/AFP
Les mesures de confinement mises en place en réponse à la crise sanitaire ont pris des formes variées selon les pays. En France ou en Italie, par exemple, ces mesures ont été présentées comme des obligations de nature juridique, tandis qu’en Suisse ou en Allemagne les gouvernements ont davantage insisté sur la notion de responsabilité collective et individuelle des citoyennes et des citoyens. Dans ces derniers pays, on a d’ailleurs parlé de semi-confinement pour marquer cette distinction. Professeure de théorie politique à la Faculté des sciences de la société, Emanuela Ceva s’est intéressée à cette question dans le cadre de ses recherches. Elle a rédigé un commentaire à ce sujet avec un collègue italien, Andrea Fracasso de l’Université de Trento, qui fera prochainement l’objet d’une publication en italien. Selon elle, cette différence d’approche d’un pays à l’autre s’explique par la qualité variable du rapport entre l’autorité et les citoyen-nes.
Logique coercitive ou appel au civisme
Dans le cas de l’Italie, la population est tenue de se conformer aux mesures de confinement décidées par le gouvernement, sous peine de se voir infliger des sanctions. Selon cette logique coercitive, les décisions de l’autorité sont perçues comme la manifestation d’une volonté extérieure à celle des sujets politiques. Cette approche, qualifiée de «paternaliste» par la chercheuse, présente l’avantage de garantir, à court terme, le respect des mesures, en brandissant la menace d’une punition. Par contre, elle peut donner lieu, surtout lorsque les mesures se prolongent, à des réactions de désobéissance, dans la mesure où les coûts de l’adhésion à la norme extérieure dépassent les bénéfices attendus pour l’individu.
A l’opposé, les autorités suédoises s’en sont remises au bon sens et à l’éthique personnelle de leur population, tablant sur sa capacité à s’imposer de nouvelles formes de conduite sociale en toute autonomie. La Suisse se situe entre les deux, estime Emanuela Ceva. Lorsque le conseiller fédéral Alain Berset insiste sur la nécessité pour le public de bien comprendre les mesures de confinement, afin qu’elles n’apparaissent pas injustifiées, il fait implicitement appel au civisme de chacun-e, à ce que les théoricien-nes de la politique appellent l’éthique publique: l’ensemble des droits et devoirs associés à l’appartenance à une communauté politique.
Réactions de défiance
Plus les contraintes externes sont fortes, surtout en situation de crise, plus la population sera encline à la défiance, en pensant par exemple que le gouvernement poursuit son propre agenda à travers les mesures édictées. Lorsque la coercition se relâche et que les autorités font davantage appel au sentiment d’appartenance de chaque citoyen-ne à une communauté politique et aux devoirs mutuels qui en découlent, les mesures sont davantage interprétées comme la traduction de la volonté et des intérêts de la population.
Emanuela Cova. DR
L’éthique publique s’applique à d’autres domaines que les situations de crise. Emanuela Ceva cite le cas de la conduite automobile. Bien que le nombre de décès sur la route soit élevé, l’utilisation de la voiture est certes interdite à quelques catégories de personnes, comme les mineures, mais elle est autorisée à tout autre individu - dans le respect de certaines règles - en dépit du risque: la décision d’entreprendre ou non une activité à risque pour soi-même et pour les autres, comme le fait de prendre le volant, est entièrement laissée à la personne concernée, à son sens des responsabilités. Dans une veine similaire, certaines villes ont renoncé au contrôle des billets dans les transports publics, estimant naturel que les bénéficiaires d’un service rendu par la collectivité paient leur trajet. Cette notion d’adhésion aux normes collectives ne doit pas être confondue avec la solidarité, qui fait moins appel au devoir civique qu’à un sentiment de générosité à l’égard d’autrui, précise la chercheuse.
En vertu de cette analyse, le relâchement des mesures de confinement devrait s’avérer plus ou moins positif en fonction du degré de maturité politique de la population. Cela reste à vérifier. Ce qui est certain en revanche, c’est que la qualité du rapport à l’autorité est un rouage essentiel du processus démocratique.