Publié le 28 mai 2020
Écriture inclusive: les grandes institutions se doivent de montrer l’exemple
À l’occasion de la Semaine de l’égalité en mars dernier, l'UNIGE se dotait d’une directive fixant les principes de l’écriture inclusive et épicène au sein de l’institution. Une mesure justifiée sur le plan scientifique mais qui demande un peu de savoir-faire et de créativité. Entretien avec le professeur Daniel Elmiger (Faculté des lettres et IUFE), spécialiste du sujet depuis une trentaine d’années
L’intégralité de cet entretien est à lire dans le magazine Campus n° 141, à paraître début juin
L’influence du langage sur les rapports de genre est-elle avérée scientifiquement?
Daniel Elmiger: Il existe de nombreux travaux qui vont dans ce sens. Pascal Mark Gygax, qui est professeur de psychologie à l’Université de Fribourg, a, par exemple, mené plusieurs recherches expérimentales qui attestent de l’impact positif des formes dites inclusives sur la construction identitaire des enfants et les perceptions des chances de succès des femmes dans la société. Dans ces travaux, il n’existe pratiquement aucune controverse sur l’effet de l’utilisation du masculin comme valeur par défaut: cet usage contraint indéniablement notre cerveau à voir le monde au travers d’un prisme androcentrique, c’est-à-dire considérant les hommes comme majoritaires et constituant une norme inéluctable. Ces travaux montrent par ailleurs que les représentations liées au genre se font de manière presque automatique dans notre cerveau et, qu’en cas d’ambiguïté, celui-ci tranche généralement pour le masculin sans que cela soit forcément conscient.
Pratiquement, qu’elle est la meilleure façon d’éviter ce type de pièges?
À titre personnel, cela fait maintenant près de trente ans que je pratique l’écriture non sexiste. Je possède près d’un millier de guides sur le sujet dans ma bibliothèque et j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas de méthode toute faite. L’utilisation des doublets (étudiantes et étudiants) est la mesure qui a le plus d’impact, mais utilisée de façon systématique, elle a tendance à alourdir le propos. Il s’agit donc de parvenir à un dosage équilibré de différents arômes en utilisant tantôt des doublets, tantôt des reformulations permettant d’éviter les mentions qui posent problème, tantôt des formulations neutres ou collectives. C’est ce qu’on appelle la «solution créative».
Comment avez-vous accueilli la directive publiée ce printemps par l’Université?
Je l’attendais depuis longtemps. Au sein de l’espace germanophone, l’immense majorité des institutions académiques s’est dotée de ce genre d’outils depuis belle lurette. Il était temps que l’Université de Genève se mette au diapason. À mon sens, les grandes institutions publiques se doivent en effet de montrer l’exemple et, ce faisant, de contribuer à faire évoluer les normes.
Vous travaillez sur le sujet depuis une trentaine d’années. Qu’est-ce qui a changé depuis les années 1990?
Même s’il existe encore des résistances qui s’expriment parfois de façon ouverte, parfois de façon passive, l’acceptation sociale me semble plus grande qu’auparavant dans ce domaine. La société me paraît aujourd’hui collectivement plus ouverte à l’idée que le langage façonne le réel ainsi que nos représentations. Par ailleurs, le débat s’est un peu déplacé. Dans la thèse que j’ai soutenue il y a quinze ans déjà, j’avais pu montrer qu’au niveau des étiquettes individuelles (madame la ministre ou madame la juge), plus la forme était connue, mieux elle était acceptée. Il y a donc un effet d’habitude et d’éducation. Aujourd’hui, la question ne se pose plus. Il est acquis que la boulangère n’est plus uniquement la femme du boulanger et que la pharmacienne est la personne qui tient une pharmacie et non pas l’épouse du pharmacien.
Dans quelle mesure faut-il faire du langage non sexiste une priorité?
La question fait débat, notamment parce qu’il est très difficile de quantifier l’effet de ces mesures de manière précise. Mais c’est un moyen de montrer qu’il y a de l’attention autour du sujet de l’égalité qui ne doit pas être négligé même si le but ultime reste bien sûr de parvenir à une réelle égalité en matière de salaires et de droits.
POUR EN SAVOIR PLUS
La rédaction inclusive et épicène à l’UNIGE
Directive