Publié le 28 mai 2020
«Un mauvais vaccin pourrait faire du Covid-19 une maladie plus grave»
Depuis le début de l’épidémie, Claire-Anne Siegrist, professeure au Département de pédiatrie, gynécologie et obstétrique (Faculté de médecine), s’efforce de diminuer notre méconnaissance quasi totale du Covid-19. Entretien
L’eJournal de l’UNIGE: À quoi ressemble votre vie depuis la fermeture des bâtiments de l’UNIGE? En avez-vous profité pour lever le pied?
Claire-Anne Siegrist: Pas vraiment. Comme enseignante, j’ai appris en accéléré les secrets de l’enseignement à distance. Comme médecin, je suis venue tous les jours à l’hôpital apporter un soutien aux soignant-es de première ligne en leur permettant de retrouver le sommeil, de décharger stress, fatigue ou angoisses et d’activer leurs ressources intérieures grâce à des «hypno-pauses» dont le succès m’a époustouflée. J’ai également continué à suivre les enfants et les jeunes pour lesquels une suspension des consultations aurait eu trop de conséquences. Comme immunologue, je me suis lancée à l’assaut de notre incompréhension quasi totale du Covid-19. Enfin, comme vaccinologue, j’ai accepté de nombreux mandats d’experte, notamment pour l’Organisation mondiale de la santé et, depuis le 18 mai, au sein de la Swiss National Covid-19 Science Task Force.
Sur quels projets de recherche avez-vous travaillé ces deux derniers mois?
Avec mes collaboratrices et collaborateurs du Centre de vaccinologie et mes collègues du Centre des maladies virales émergentes, notamment les professeurs Laurent Kaiser et Isabella Eckerle, nous nous sommes lancé le défi de comprendre les liens entre le virus responsable du Covid-19, les réponses immunitaires qu’il déclenche et les symptômes des patient-es. Nous n’avons eu que dix jours pour écrire et déposer au Fonds national pour la recherche scientifique (FNS) un projet de recherche ambitieux. Nous l’avons démarré tout de suite grâce à des subsides de la Fondation privée des Hôpitaux universitaires de Genève. Cette période a été tellement intense qu’elle m’a rappelé celle du développement des vaccins contre Ébola il y a quelques années.
Le FNS vient d’ailleurs de vous accorder un financement pour ce projet (près de 300 000 francs pour deux ans). Pouvez-vous en dire plus?
Nous cherchons à comprendre ce qui se passe avant et au début de l’apparition des symptômes du Covid-19, en analysant les réactions immunitaires des contacts des malades, et ce qui se passe plus tard dans la maladie, en suivant les réponses immunitaires des patient-es infecté-es. En effet, nous pensons que les réactions inappropriées du système immunitaire sont responsables de nombreux symptômes et cherchons à comprendre quel type de réponse est bénéfique pour éliminer le virus et lequel est excessif ou insuffisant et conduit à la maladie.
Avez-vous réussi à recruter les 50 patient-es et 200 contacts prévus dans le plan de l’étude? Car aujourd’hui, le nombre de nouveaux cas a drastiquement diminué.
Nous avons commencé très tôt et avons donc déjà enrôlé de très nombreux participants et participantes – que nous remercions d’ailleurs d’avoir accepté de faire avancer la science. Ces familles étant en quarantaine, il a fallu organiser des visites à domicile tout en respectant toutes les règles de biosécurité. Rien n’aurait été possible sans des internes dévoué-es, les collaboratrices et collaborateurs du Centre de recherche clinique et de la plateforme de recherche pédiatrique ainsi que la participation d’étudiant-es en médecine qui ont été exceptionnel-les. Notre programme se poursuit aujourd’hui et je n’ai malheureusement aucun doute sur le fait que nous pourrons recruter autant de patient-es et de contacts que nécessaire.
Avez-vous déjà une idée de la protection que peut offrir une première infection au SARS-CoV-2?
Non. La majorité des patientes et des patients déclenchent une immunité mais elle est très variable d’une personne à une autre dans son intensité ainsi que dans sa durée.
Est-ce qu’une infection par un autre coronavirus peut offrir une protection contre le Covid-19?
À ce jour, il semble que les anticorps contre d’autres coronavirus ne protègent pas contre le Covid-19 mais nous ne savons pas encore ce qu’il en est pour la réponse cellulaire.
Quelle efficacité minimale devrait avoir un éventuel vaccin contre le Covid-19?
C’est une question extrêmement difficile à laquelle personne ne connaît la réponse. On peut envisager deux cas de figure. Dans le premier, il faudrait pouvoir induire de fortes réponses protectrices directement chez les patientes et les patients âgés ou vulnérables, c’est-à-dire chez celles et ceux qui sont le plus à risque de développer des complications graves. Mais c’est quelque chose que nous n’arrivons pas à réaliser, justement à cause de l’affaiblissement de l’immunité avec l’âge. Dans le second cas de figure, il faudrait disposer de vaccins capables d’induire la production dans l’organisme d’anticorps neutralisants à des taux tellement élevés (et persistants) qu’ils soient capables de prévenir chez les jeunes non seulement la maladie mais aussi l’infection et donc la transmission du virus. C’est un résultat qui n’a, jusqu’à présent, été atteint pour aucune autre maladie semblable. Dans tous les cas, enfin, il faut aussi et surtout éviter qu’un vaccin n’induise des anticorps qui, au contraire de protéger, augmenteraient le risque de maladie au moment de l’exposition au virus – comme on l’a malheureusement observé pour les virus SRAS précédents (notamment celui responsable de l’épidémie en 2002-2004). Cela pourrait transformer une maladie actuellement bénigne chez 80% des personnes en une maladie plus grave, ce qui serait une catastrophe.
Des candidats au vaccin sont présentés dans un laboratoire de recherche sur le coronavirus à Saraburi en Thaïlande. 23 mai 2020. M. Antonov/AFP
Pensez-vous qu’il soit possible de développer un vaccin en 2021 déjà?
Je l’ignore. Je suis une scientifique qui a besoin de faits et, pour l’instant, nous n’assistons depuis des mois qu’à des effets d’annonce, notamment de la part de compagnies qui voudraient bousculer les phases de développement cliniques des vaccins – pourtant indispensables à assurer leur sécurité – juste pour être les premières. On entend que des usines se préparent pour produire des vaccins dont on ne sait pas du tout s’ils seront efficaces et sûrs, alors que des gouvernements sont prêts à allonger les billets pour être certains d’être servis.
Quel est votre plus grand espoir pour une action rapide contre le Covid-19?
L’administration d’anticorps monoclonaux neutralisants (conçus spécifiquement pour reconnaître et s’accrocher au coronavirus) effectuée rapidement – en particulier aux personnes vulnérables – est une stratégie à laquelle je crois beaucoup. Pour y arriver, il est indispensable que la Suisse se donne les moyens d’identifier les nouveaux cas de Covid-19 et les contacts, d’établir un registre précis de celles et ceux qui ont été infectés, de celles et ceux qui sont peut-être protégés, etc. Nous avons proposé un tel projet à l’Office fédéral de la santé publique. Nous attendons une réponse. Mais il faut faire vite.
Sur le même sujet
«Tout va tellement vite que les résultats
sont diffusés par communiqués de presse»
Entretien avec Alexandra Calmy - 7.05.2020
«Notre antiviral neutralise
le SARS-CoV-2 en laboratoire»
Entretien avec Caroline Tapparel Vu - 30.04.2020
A Genève, une personne sur vingt
a été exposée au coronavirus
Entretien avec Idris Guessous et Silvia Stringhini - 23.04.2020
«Plusieurs entreprises nous ont demandé
de tester leurs molécules»
Entretien avec Karl-Heinz Krause - 9.04.2020
«Notre maison est en feu et nous devons
construire un camion de pompier»
Entretien avec Isabella Eckerle - 2.04.2020