2 avril 2020
«L’enseignement à distance, c’est moins agréable,
mais ça marche»
Comment les enseignants se sont-ils adaptés à la généralisation de la formation à distance? Cette semaine, nous avons posé la question à un spécialiste de l’innovation pédagogique, Jérémy Lucchetti, professeur d’économie à la GSEM
Jérémy Lucchetti donnant son cours d'économie à Uni Mail en novembre 2019
Le eJournal: Travaillez-vous davantage ou moins qu’en temps normal, mieux ou moins bien?
Jérémy Lucchetti: L’adaptation ne m’a pas demandé un travail énorme. Cela représente environ deux heures de préparation par cours, beaucoup moins que ce à quoi je m’attendais. Cela étant, il ne faut pas se leurrer: en tant qu’expérience, l’enseignement à distance représente un appauvrissement par rapport à la sensation de se retrouver devant un auditoire rempli d’étudiants. C’est beaucoup moins agréable.
Ce contact direct avec les étudiantes et étudiants mis à part, qu’est-ce qui vous manque le plus?
L’Uniboard. C’est un stylet qui permet de créer des graphiques ou des commentaires sur le grand écran en direct. Je n’ai pas de tablette ou d’autre outil de remplacement. C’est pour moi le plus gros handicap.
Quelle plateforme utilisez-vous pour diffuser vos cours?
Principalement Zoom. Je l’ai installée pour la première fois le dimanche avant la fermeture des bâtiments pour mon cours du mardi. C’est très intuitif. J’utilise aussi Pingo, comme je le faisais auparavant dans mes cours en présentiel. Il s’agit d’une application de type Votamatic. Les étudiants se prononcent sur une question de l’enseignant et les résultats du sondage s’affichent en direct sur une page web à laquelle les étudiants sont connectés. J’ai aussi recours à l’option «tableau blanc» de Zoom qui permet de montrer des graphiques.
Comment les étudiantes et étudiants réagissent-ils?
Sur le papier, j’ai 250 inscrits à mon cours d’économie. Actuellement, ils sont entre 150 et 180 étudiant-es à se connecter. Cela fonctionne donc plutôt bien. Ils participent beaucoup, posent des questions avec l’option «lever la main» sur Zoom ou à travers le «chat». D’après les retours dont je dispose, ils semblent content-es.
Est-ce qu’ils ont la possibilité de travailler en groupe?
C’est un aspect que je n’ai pas encore beaucoup exploré, faute de temps. Dans les cours en présentiel, je fais travailler les étudiant-es en groupe durant deux ou trois minutes, avant un sondage en ligne. Je vais essayer avec le «chat», mais je crains que ce soit artificiel. Il y a une dimension physique dans les interactions normales: la signification apportée par la gestuelle, le langage du corps. Dans un auditoire, ils peuvent par exemple observer la prise de note de la voisine ou du voisin, qu'ils savent très autonome, pour repérer les moments importants du cours. Ils s’adaptent au rythme des autres. Tous ces éléments sont perdus dans l’enseignement à distance. Or ils sont primordiaux, surtout pour les étudiant-es qui éprouvent le plus de difficultés et qui sont moins autonomes. Je ne me fais pas de soucis en revanche pour les autres. Ils vont s’en sortir comme avant.
Est-ce que les étudiantes et étudiants se soutiennent mutuellement?
J’ai beaucoup de retours à ce sujet. On sent un côté affectif, que je ressens d’ailleurs également. Beaucoup m’écrivent pour me faire part de leurs expériences. En tant qu’enseignant-es, nous avons un rôle à jouer dans de pareilles circonstances pour les épauler. Les associations estudiantines font aussi leur part pour leur venir en aide. Au niveau de l'Institut d'économie et d'économétrie, nous avons également demandé à des étudiants clés dans nos cours de suivre les autres étudiants, de prendre de leurs nouvelles et de les aider quand c’est nécessaire.
Y a-t-il une entraide du même type parmi les enseignant-es?
Certaines choses se sont mises en place très vite. Daniel Schneider de TECFA a publié son site Enseigner à distance dans l’urgence. Dans le cadre de la Commission d’innovation pédagogique, nous avons également diffusé des recommandations. Mais pour l’essentiel, cela s’est passé de manière informelle, nous avons échangé des conseils sur l’utilisation de Zoom notamment.
Par exemple?
Mon seul conseil est de bien pointer avec son curseur sur la partie du slide qu’on est en train de commenter. Cela permet aux étudiant-es de suivre visuellement ce que l’enseignant-e raconte. Autrement, je n’ai pas dû affronter une avalanche d’appels à l’aide de mes collègues sur ma messagerie. C'est certainement lié au fait que tous les enseignant de notre Institut employaient déjà des outils numériques pour leur cours.
Comment envisagez-vous les examens?
Je pense que c’est une très bonne chose de les maintenir. Beaucoup d’étudiant-es ont des emplois du temps et des situations financières qui ne leur permettent pas de rallonger la durée de leurs études. Et l’option de donner une même note à tout le monde n’est pas une solution crédible du point de vue de l’évaluation au niveau universitaire. Par ailleurs, l’examen est un élément capital de l’apprentissage. Les étudiant-es apprennent véritablement la matière enseignée en s’y préparant et même durant l’examen. Si l’on perd cette étape, c’est un tiers au moins du processus de formation qui s’évapore. Les étudiant-es qui éprouvent le plus de difficulté vont devoir fournir un surcroit d’effort pour travailler de manière autonome. Ce n’est pas facile, mais nécessaire dans la situation actuelle. Je les aide le plus possible. Mes cours de l’an dernier sont accessibles sur Mediaserver. Je publie également mes cours donnés avec Zoom sur la plateforme Moodle. Cela leur donne suffisamment de matériel pour travailler. Enfin , je vais adapter les examens à la situation, en les prévoyant moins longs que d’habitude, par exemple.