9 avril 2020

 

«Le moment est crucial pour une prise de conscience collective»

 

Avec 4 milliards de personnes confinées dans le monde, une baisse drastique des émissions de CO2 est enregistrée. Les oiseaux s'entendent enfin en ville, les animaux sauvages entament leur apparition dans les rues – sangliers à Barcelone, puma à Santiago du Chili, coyotes à San Francisco –, les eaux de Venise s'éclaircissent… Dans quelle mesure la crise actuelle représente-t-elle une chance pour le climat et l'environnement? Réponse avec Gregory Giuliani, chargé de cours à l'Institut des sciences de l'environnement et responsable du projet Swiss Data Cube

 

L’eJournal: Depuis le début de la pandémie, quels effets ont pu être observés sur l'environnement grâce aux images satellites?
Gregory Giuliani: La conséquence la plus spectaculaire est la diminution très marquée de la pollution, que l'on peut observer sur les images fournies par la NASA ou l'Agence spatiale européenne (ESA), que ce soit en Chine, dans le nord de l'Italie ou dans d'autres zones du monde. Dans le cadre du Swiss Data Cube (SDC) – projet qui rassemble toutes les images satellites du territoire suisse afin de permettre l’exploitation des données d’observation de la Terre –, un service de suivi de la pollution atmosphérique dans la Suisse entière va être prochainement mis en place grâce à l'intégration des données du satellite Copernicus Sentinel-5P. Ce dernier mesure la composition de l'atmosphère pour sept substances (ozone, méthane, formaldéhyde, aérosols, monoxyde et dioxyde de carbone et dioxyde de soufre) sur une base journalière. Ces données vont nous permettre d'étudier l'effet de cette pandémie sur la pollution ambiante.

 

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Les observations du satellite Copernicus Sentinel-5P montrent de fortes réductions des concentrations de dioxyde d'azote dans le nord de l'Italie et dans les grandes villes.

 

Sur quels points spécifiques cette étude va-t-elle porter?
En collaboration avec l'Institut de santé globale (groupe GeoHealth), nous allons évaluer l’impact de la pollution sur la santé, en observant notamment si les diminutions enregistrées ont un effet positif. Les spécialistes de la santé ont constaté que nombre de décès imputés au Covid-19 sont liés à des faiblesses respiratoires, potentiellement dues aux impacts de la pollution. Nous chercherons à étudier les liens entre cette dernière et la mortalité. Comme le SDC couvre l’intégralité du territoire suisse, il sera possible de vérifier s'il existe des zones de mortalité préférentielles en rapport avec des concentrations élevées de polluants. Si les résultats obtenus sont probants, le message envers nos politiciens sera très fort: en prenant des mesures adéquates pour respecter l'Accord de Paris, la santé de la population va s'améliorer.

Que peut-on faire d’autre avec le Swiss Data Cube?
Énormément de pistes peuvent être explorées, notamment le lien avec l'économie. Il s'agirait, par exemple, de vérifier si les zones les plus actives économiquement sont celles qui sont les plus polluées et si la baisse de pollution aura été la plus forte dans ces zones. À l’inverse, on pourrait déterminer si les régions moins exposées (zones alpines, zones agricoles) sont impactées de la même manière. Avec notre outil, toutes les dimensions de la durabilité, qu'elles soient sociales, économiques ou environnementales, peuvent être étudiées.

La crise actuelle peut-elle être vue comme une chance pour le climat?
C'est extraordinaire de constater la capacité de résilience de notre planète, de voir à quelle vitesse la nature reprend ses droits. Les politiciens ne vont plus pouvoir prétendre que les mesures en faveur de l'environnement n'ont que peu d'effets. Ça va très vite. La qualité des eaux de la lagune de Venise s'est, par exemple, améliorée en quelques semaines seulement. Mais il faut faire extrêmement attention car, si la crise actuelle peut être perçue comme une bonne nouvelle pour l'environnement, il y a énormément de drames humains cachés derrière ces images satellites, de nombreuses personnes qui se retrouvent au chômage ou dans des situations financières critiques.

Est-il possible d’obtenir de tels résultats sans détruire l'économie?
Les gouvernements parlent d'injecter des milliards pour soutenir l'économie. Pourquoi ne pas profiter de cette opportunité pour aller dans le sens d'une transition écologique et créer de nouveaux emplois plus verts et plus durables? C'est tout à fait possible.

Est-ce que les modifications observées actuellement peuvent avoir un effet sur le changement climatique global?
Le moment est crucial pour une prise de conscience collective. Il s'agit de transformer les difficultés actuelles pour évoluer. Si, au moment du déconfinement, la société reprend sur un même mode de fonctionnement, il n'y aura aucun effet visible sur le long terme. En revanche, si elle continue à fonctionner sur la base des efforts déjà réalisés – ces petits gestes du quotidien que toutes et tous auront adopté pendant le confinement, comme réduire son usage de la voiture, diminuer ses voyages en avion ou consommer local –, un impact durable sur le climat peut se produire.