23 avril 2020
À Genève, une personne sur vingt a été exposée
au coronavirus
Les HUG ont conduit une étude permettant d’estimer la prévalence d’anticorps anti-SARS-CoV-2 dans la population genevoise: au 17 avril, environ 27 000 personnes étaient exposées au virus. Entretien avec Idris Guessous, professeur-associé, et Silvia Stringhini, privat-docent à la Faculté de médecine, tous deux responsables de cette étude épidémiologique qui doit se poursuivre jusqu’à fin mai
eJournal: Votre étude suggère que 5,5% de la population genevoise ont été exposés au SARS-CoV-2 à Genève. Comment faut-il interpréter ce chiffre?
Idris Guessous: Il s’agit d’une estimation minimale, entachée de multiples incertitudes concernant le temps nécessaire pour développer une immunité et la dynamique de l’épidémie. On s'attend toutefois à ce que la séroprévalence dans la population s’accroisse encore ces prochaines semaines du fait de la récente augmentation du nombre de cas dans le canton. Il faut également rester prudent car le nombre de personnes concernées par l’étude est encore limité (760) et le suivi n’a duré que deux semaines (du 6 au 17 avril). Quoi qu’il en soit, le suivi de la séroprévalence dans le temps est particulièrement important pour anticiper et planifier la réponse de santé publique.
Que nous apprend une étude comme la vôtre?
Idris Guessous: Les enquêtes de séroprévalence sont basées sur la détection d’immunoglobulines spécifiques de type G (IgG) dans le sang. Elles permettent de connaître la proportion de la population qui a déjà été exposée au coronavirus. Par contre, elles ne permettent pas de conclure à une immunité contre ce dernier. En l’état actuel de la science, nous ne connaissons ni le taux de protection que cette immunité confère contre une nouvelle infection ni son éventuelle durée. Cependant, en poursuivant l’étude au cours des semaines à venir, nous pourrons vérifier si les personnes qui ont déjà des anticorps ont moins de risques d’être réinfectées que celles qui n’en ont pas et donc savoir si le fait d’avoir été exposé au virus protège un peu ou totalement contre la maladie.
Vos chiffres sont-ils comparables à ceux relevés dans d’autres régions du monde?
Idris Guessous: Aucune autre étude de séroprévalence n’a encore été publiée. D’autres cantons suisses et certaines villes dans le monde se sont lancés dans des expériences similaires. Mais nous n’en connaissons pas encore les résultats.
Pourquoi faut-il autant de temps pour réaliser une étude de séroprévalence?
Silvia Stringhini: Il a d’abord fallu attendre que les IgG soient détectables. Ils n’apparaissent environ que trois semaines après le début de l’infection. Ensuite, une telle étude exige beaucoup d’énergie, de personnel formé, d’infrastructures et d’organisation. À Genève, nous avons la chance de disposer de l’enquête Bus santé qui sonde l’état de santé des Genevois et des Genevoises depuis des décennies. Nous possédions donc dès le départ une base de données très précieuse avec un échantillon représentatif de la population genevoise, comprenant le nom, le prénom et l’adresse électronique de chaque participant et participante. C’est un avantage très important. Mais ce n’est pas le seul.
Que voulez-vous dire?
Silvia Stringhini: Nous disposions aussi de locaux, du personnel nécessaire, de logiciels pour le traitement des données, etc. Et, surtout, nous avons eu la chance de pouvoir collaborer très étroitement avec le Laboratoire de virologie des HUG. Cela nous a permis de nous concentrer sur notre spécialité, c’est-à-dire les aspects épidémiologiques. Toute la partie concernant le choix, l’achat et la validation des kits de test de sérologie a été assurée par l’équipe de Laurent Kaiser, professeur au Département de médecine (Faculté de médecine) et responsable du Laboratoire de virologie.
D’où viennent ces tests?
Idris Guessous: Ils ont été fournis par une compagnie allemande, une des premières à en avoir mis au point. Il faut bien se rendre compte que l’on demande aux compagnies pharmaceutiques des tests permettant de détecter des anticorps humains contre un virus dont on ne décèle la présence dans le corps que depuis moins de trois mois et qui est lui-même connu depuis seulement quatre mois. Ces compagnies ont donc travaillé très rapidement.
Êtes-vous désormais équipés?
Idris Guessous: Les HUG disposent depuis deux semaines d’une plateforme de tests sérologiques à haut débit, actuellement capable de réaliser 200 tests par heure. Il faut toujours assurer l’approvisionnement en produits réactifs. La tâche est ardue pour nos collègues car en même temps, le monde entier cherche à acquérir les mêmes tests, les mêmes machines et les mêmes réactifs. Il y a une très forte concurrence. Comme pour les masques.
Les tests de sérologie sont-ils fiables?
Idris Guessous: Une étude préalable menée aux HUG a démontré que le test utilisé dans nos enquêtes confirme de manière fiable une exposition au SARS-CoV-2 vingt jours après le début des symptômes.
Comment avez-vous sélectionné les volontaires?
Silvia Stringhini: L’étude n’est pas ouverte à l'ensemble du public. Nous choisissons aléatoirement nos volontaires parmi les participantes et les participants à l’étude Bus santé. Ce sont des personnes dont nous connaissons l’état de santé ainsi que le mode de vie et pour lesquelles nous avons des prises de sang datant d’avant l’épidémie. Nous les invitons par e-mail ou téléphone à venir nous voir accompagnées des membres de leur famille vivant sous le même toit. Détail important: nous ne restituerons le résultat qu’à la fin, lorsque nous aurons pu reconstituer l’ensemble de l’étude populationnelle et des soignant-es. En particulier, nous ne savons pas encore si l’anticorps fournit une immunité. Nous ne voulons donc pas risquer de déstabiliser les patient-es ou de donner une fausse information.
Où ont lieu les prises de sang?
Silvia Stringhini: Elles sont pratiquées sur notre site des HUG ou sur celui de Campus Biotech. Un-e étudiant-e vérifie les conditions de participation avec la personne, les critères d’exclusion, puis on fait une prise de sang. Le taux de réponse à nos invitations est très bon. Les gens sont contents de venir et la plupart amènent leur famille. C’est une sacrée organisation. Quatre boxes sont actifs en même temps. Nous avons quadruplé notre équipe habituelle. Il a fallu former de nouvelles personnes. Une trentaine de médecins stagiaires bénévoles (de 2e et 3e année de médecine) nous ont rejoints, plus quelques étudiantes et étudiants médecins de 6e année. Le nombre d’infirmières est passé de trois à sept. Nous avons aussi recruté des aides-soignantes pour la désinfection et l’accueil, des civilistes, du personnel administratif, des informaticien-nes, etc. Nous sommes plus de 50 en tout. La partie scientifique est assurée à la maison, confinement oblige. Les vidéoconférences n’arrêtent pas. Ce sont des semaines très chargées mais je suis fière de faire partie de cette aventure.
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