Celui qui représente une société incarnant la souveraineté numérique abordera essentiellement les problématiques liées à l’économie et à l’emploi dans ce secteur. La conférence sera suivie d’une table ronde qui accueillera le professeur Cédric Durand (Département d’histoire, économie et société, sciences de la société), la directrice de Trust Valley, Lennig Pedron, et la secrétaire générale d’Alp ICT, Delphine Seitiée. L’humoriste Benjamin Décosterd se chargera de conclure cet échange.
Internet est devenu «trop centralisé, estime Marc Oehler. À sa création, nous nous connections à d’autres serveurs, d’autres machines qui fournissaient du contenu de manière décentralisée. Aujourd’hui, tout est concentré sur une poignée d’acteurs avec leurs propres règles.» Et ceux-ci ont une influence sur nos libertés. «Avant, chacun pouvait avoir son site Internet, être hébergé où que ce soit et parler du sujet souhaité, poursuit-il. Aujourd’hui, certains sujets sont indirectement censurés par des algorithmes complètement opaques et qui ont pourtant une réelle influence sur nos cultures.»
Sur YouTube, par exemple, toutes les vidéos utilisant les mots-clés sensibles recensés par Google sont démonétisées. Du coup, les créateurs/trices de contenus évitent d’évoquer ces sujets. C’est le cas de certains documentaires ou de réflexions sociétales, par exemple, car certains mots sont censurés. Celles et ceux qui veulent traiter de ce sujet doivent donc s’autocensurer, en bipant le mot dans l’audio et en l’écrivant avec un astérisque dans les sous-titres. «Le risque en continuant d’avancer dans cette direction est de se retrouver avec une culture unique», prévient Marc Oehler.
Pour changer la donne, il est nécessaire selon lui d’opérer une prise de conscience autant au niveau individuel qu’à l’échelle des États. «Malheureusement, ces derniers se soumettent à la dictature des GAFAM, regrette-t-il. À tel point qu’ils acceptent même le fait que ces entreprises ne payent pas d’impôts localement. Il faut que les pays européens se réveillent, refusent cette position monopolistique et instaurent leurs propres règles.»
Autre point essentiel: être aux côtés des actrices et acteurs locaux. «Les gouvernements les soutiennent en finançant avec quelques millions la recherche d’alternatives, comme la start-up Mistral AI en France, mais en même temps, ils distribuent des milliards aux géants de la tech américains et asiatiques. Comment rester dans la course et créer une réelle valeur dans ces conditions? Nos sociétés se tirent une balle dans le pied en investissant massivement à l’étranger.»
Est-il réaliste de croire en une concurrence européenne? «C’est parce qu’on pense que personne ne va y arriver que les gouvernements donnent autant d’argent à des entreprises étrangères, principalement américaines, répond Marc Oehler. En Suisse, nous avons tout pour être un acteur majeur et fédérer les efforts européens autour de projets nés sur le territoire, y compris des écoles qui figurent au sommet des classements mondiaux. Nous avons les cerveaux et une économie pour permettre ce genre de progrès et d’innovation.»
Le CEO d’Infomaniak en est convaincu: c’est une question de volonté politique avant tout. Mais le sujet est, selon lui, encore trop ignoré. «Nous ne devons pas rendre les armes en pensant que les GAFAM sont trop forts, qu’ils ont trop d’avance. C’est faux! Ils ont simplement plus de moyens et de plus grandes équipes.» Un autre problème à considérer dans les débats actuels est le travail des lobbyistes, pointe-t-il. «Si nous nous demandons comment la législation peut assurer la protection de nos données sur des serveurs américains, c’est que nous partons du principe que nous sommes déjà vaincus. Et que nous sommes obligés de fonctionner avec eux.»
Et d’ajouter: «Il ne faut pas oublier que c’est le travail des lobbyistes de recentrer les échanges sur les notions juridiques, car leur mission est de redéfinir le problème en cherchant à changer ou à contourner les lois de protection de données des citoyens et citoyennes suisses.» Pour Marc Oehler, il est essentiel de croire en nos capacités. Car nous allons subir les choix d’aujourd’hui pendant des années.