19 novembre 2020 - AC/JE
Les droits humains en temps de crise
La 8e édition de la Semaine des droits humains se déroule en ligne du 23 au 27 novembre. Elle rassemblera plus d’une quinzaine d’intervenant-es, de défenseurs/euses des causes les plus diverses, uni-es dans leur volonté de promouvoir la justice et la dignité partout dans le monde.
Qu’advient-il des droits humains lorsque le monde est confronté à un enchaînement sans précédent de crises, sanitaire, climatique, économique et sociale? Du 23 au 27 novembre prochain, la Semaine des droits humains se veut porteuse d’espoir en proposant de mettre en lumière les opportunités de changement qu’offrent ces ruptures. Durant six jours, l’événement donnera la parole à plus d’une quinzaine d’intervenant-es, de défenseurs/euses des droits de toutes et tous, philosophes, juristes, écrivain-es ou militant-es. Portraits choisis.
PAUL-OLIVIER DEHAYE
L’ennemi n° 1 de Facebook
L’affaire fait scandale en 2018. La société britannique Cambridge Analytica est accusée d’avoir organisé le siphonnage des données personnelles de plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs/trices de Facebook pour influencer le Brexit et les élections américaines de 2016. À l’origine du dossier, on trouve le mathématicien Paul-Olivier Dehaye. Ce sont ses connaissances des bases de données qui ont permis aux enquêteurs/euses de comprendre les tenants et les aboutissants d’une des plus grosses opérations de manipulation électronique de l’histoire.
Paul-Olivier Dehaye naît en 1981 à Bruxelles. Élève surdoué, il entame un doctorat à l’Université Stanford en 2001, à tout juste 20 ans. À l’occasion d’une fête, il est arrêté pour consommation d’alcool. Quelques années plus tard, retenu à la frontière américaine sans raison apparente, c’est la prise de conscience: «Cette information se trouve quelque part dans une base de données, elle ne s’effacera jamais et affecte aujourd’hui encore ma capacité à entrer sur le territoire américain, expliquait l’expert lors d’une intervention à la RTS. Il faut réaliser que les informations personnelles peuvent atteindre les gens pendant très longtemps.» Il s’engage alors pour le droit des citoyen-nes à recouvrer la maîtrise de leurs données et fonde l’association PersonalData.IO. Celle-ci accompagne des personnes privées afin qu’elles puissent accéder à leurs informations personnelles, collectées par des sites ou des réseaux sociaux, dans le but d’obtenir des modifications, voire leur suppression pure et simple.
Paul-Olivier Dehaye fait partie de la génération qui a découvert le monde à travers un moteur de recherche et regrette qu’Internet soit devenu, au fil du temps, un espace qui s’est fait happer par les dynamiques commerciales. Depuis des années, le militant critique les pratiques de Facebook. Pour lui, l’affaire Cambridge Analytica n’est qu’une histoire parmi d’autres qui a le mérite de mettre au jour un problème structurel dans la manière dont Facebook gère et utilise les données personnelles de ses utilisateurs/trices. En 2018, devant la Commission parlementaire britannique, il déclarait: «Si Facebook respectait la loi, ses techniques de ciblage de données devraient être révélées.»
ROKHAYA DIALLO
Française, sans commentaire
Elle fait partie de cette nouvelle génération de militant-es qui dénoncent le racisme ordinaire minant notre société. À un point tel que le New York Times la considère comme l’une des voix les plus importantes de cette lutte en France. Mais le combat de Rokhaya Diallo ne se limite pas à mettre en lumière les violences à l’encontre des Noir-es; la jeune femme prend aussi position contre les discriminations de genre et celles qui ont trait à la religion. Ses interventions dans le débat public dénoncent aussi bien le racisme d’État, le harcèlement policier, l’islamophobie ou le détournement de la laïcité que l’injonction à l’assimilation. Ses opinions bien tranchées lui ont d’ailleurs valu nombre d’attaques et de menaces.
Née en 1978 à Paris, Rokhaya Diallo a grandi dans un environnement mêlant les cultures sénégalaise et française. «Les gens me demandaient d’où je venais en souhaitant que je leur raconte une histoire exotique qui n’était pas la mienne, expliquait la militante dans un podcast pour Libération en mai dernier. Je me suis découverte Noire dans le regard des autres.» Après des études de droit et de marketing, elle cofonde, en 2007, l'association Les Indivisibles, qui vise à déconstruire, grâce à l’humour et à l’ironie, les préjugés ethnoraciaux, en particulier celui qui dévalorise l’identité française des Français-es non Blanc-hes, avec pour mot d’ordre «Français, sans commentaire». L’association a notamment décerné jusqu’en 2015 les Y’a bon Awards (en référence au slogan Y a bon Banania) qui récompensaient des personnalités responsables des pires déclarations racistes.
Journaliste, autrice et réalisatrice, elle est notamment à l’origine de l’Appel pour une République multiculturelle et postraciale en 2010, rassemblant 100 propositions citoyennes. Depuis 2018, elle fait œuvre de pédagogie avec le podcast Kiffe ta race. L’année suivante, elle interroge la société française dans l’ouvrage La France, tu l’aimes ou tu la fermes? (2019) et le documentaire Où sont les Noirs? (2020). Rare femme noire à s’être fait une place dans le paysage médiatique français, elle déclarait, en juin dernier, dans une interview accordée au Temps: «En France, l’antiracisme a longtemps été une parole institutionnelle. Incarné par SOS Racisme, l’antiracisme à la française était festif et moral. Il ne dénonçait pas le racisme produit par l’État. Or aujourd’hui, c’est le sujet: nous combattons une forme de racisme produit par l’État.»
Site de Rokhaya Diallo
Vidéo «Qui est Rokhaya Diallo?»
JEWHER ILHAM
Le visage de la lutte des Ouïghour-es
En janvier 2013, Jewher Ilham s’apprête à accompagner son père Ilham Thoti aux États-Unis. Militant de la cause ouïghoure, celui-ci a été nommé professeur invité à l’Université de l’Indiana. C’est la dernière fois que la jeune femme, alors âgée de 18 ans, verra son père. Celui-ci est en effet arrêté à l’aéroport de Pékin avant qu’il ne lui soit interdit de quitter le territoire chinois. Une année plus tard, il est condamné à perpétuité pour «séparatisme». Ilham Thoti représente pourtant un courant modéré dans la lutte des Ouïghour-es contre la politique d’assimilation forcée menée par Pékin à l’encontre de cette population turcophone musulmane établie dans la région autonome du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine. Universitaire, professeur d’économie, il est partisan d’un dialogue constructif avec Pékin. Sa famille est pourtant sans nouvelles de lui depuis 2017.
Ce jour de janvier 2013, Jewher Ilham poursuit donc seule le voyage vers l’Indiana. Malgré son anglais hésitant, elle s’inscrit comme étudiante à l’Université de l’Indiana à Bloomington. Très vite, elle s’engage à réclamer la libération de son père et devient le visage de la lutte pacifique des Ouïghour-es. Elle est invitée à témoigner devant une commission du Congrès américain, s’entretient avec l’ancien secrétaire d’État John Kerry et publie des éditoriaux dans le New York Times. En 2015, elle raconte sa lutte dans le livre Jewher Ilham: A Uyghur’s Fight to Free Her Father. Après avoir terminé ses études, elle plaide une fois encore la cause de son père et du peuple ouïghour à la tribune du siège genevois de l’ONU, à l’occasion du 12e Sommet annuel pour les droits humains et la démocratie.
Entre-temps, son père a reçu le Prix Martin Ennals (en 2016), le Prix Václav-Havel et le Prix Sakharov, inscrivant ainsi la cause des Ouïghour-es dans une longue lignée de mouvements en faveur des droits humains.
Semaine des droits humains
Du 23 au 27 novembre 2020 | Événement en ligne