«Le généticien doit rester neutre»
Quel regard portez-vous sur la décision des autorités britanniques d’autoriser la fécondation in vitro avec remplacement mitochondrial?
Stylianos Antonarakis: Les Britanniques ont toujours été, en Europe, les plus avant-gardistes en ce qui concerne la législation sur l’éthique de la recherche sur l’embryon, ainsi que sur l’utilisation du diagnostic prénatal. J’estime que toute avancée raisonnable dans ce domaine est bonne, surtout lorsqu’on l’applique aux maladies génétiques graves, et dans des limites acceptables.
Quelles sont ces limites, pour le généticien que vous êtes?
Même s’il n’y a pas de consensus en la matière, le diagnostic prénatal a sa raison d’être lorsqu’on se préoccupe de déceler les maladies qui peuvent entraver le développement et la vie de l’enfant dès son jeune âge:
les pathologies générant un retard mental sévère, des troubles cognitifs ou neurologiques ou qui limitent sévèrement l’autonomie et l’espérance de vie du futur enfant. Par contre, il est inacceptable de permettre la sélection de certains caractères génétiques, ou d’utiliser le diagnostic prénatal pour déceler d’éventuelles prédispositions à des pathologies risquant de survenir lorsque l’enfant deviendra adulte.
Que représente l’avancée britannique?
Pour les personnes ayant recours, en Grande-Bretagne, à la fécondation in vitro, cette décision représente une solution pour la prévention des maladies mitochondriales, c’est-à-dire les pathologies dues à la mutation de l’ADN des organites présentes dans le cytoplasme et qui fournissent aux cellules l’énergie nécessaire à leur développement. Dans chaque cellule, de 700 à 1000 mitochondries sont présentes. Leur ADN est composé de 16 500 nucléotides seulement codant quelque 37 gènes. Des mutations importantes dans cet ADN mitochondrial peuvent provoquer de graves maladies: cécité, myopathie, atteintes neurologiques… Etant donné que les mitochondries sont héritées exclusivement de la mère, rechercher une donneuse provenant d’une autre lignée génétique et ne présentant aucune mutation majeure de son matériau mitochondrial fait pleinement sens.
Dans une consultation génétique comme celle des HUG, dont vous avez la responsabilité, qui détient le pouvoir de décision?
C’est toujours aux parents de décider de recourir au diagnostic prénatal. En cas de désaccord au sein du couple, c’est à la mère que revient ce pouvoir. Le rôle du médecin généticien est toujours de fournir des informations neutres aux futurs parents, toutes les options possibles, en tenant compte des contraintes législatives propres à chaque pays.
Le diagnostic préimplantatoire est actuellement impossible en Suisse. Quelle solution diagnostique existe-t-il pour les futurs parents recourant à la fécondation in vitro?
Le diagnostic prénatal, par amniocentèse ou par analyse du sang du cordon ombilical, ainsi que des tests sur le sang maternel sont possibles. Techniquement, on peut aussi diagnostiquer toutes les maladies génétiques dont on connaît le code moléculaire ou chromosomique. Pour les maladies moins graves, ou les prédispositions à des maladies génétiques ne survenant qu’à l’âge adulte ou pour lesquelles existent des solutions thérapeutiques, nous n’offrons en Suisse aucun test prénatal à des fins d’interruption de grossesse. Quant au diagnostic préimplantatoire proprement dit, certains couples suisses décident d’y recourir en se rendant dans un pays européen où ce procédé est légal, comme l’Espagne ou la Belgique.
Après une année d’activité, quel bilan tirez-vous de votre unité de consultation génétique?
Le bilan est largement positif. Notre «clinique du génome» permet le diagnostic des maladies résultant de la mutation des quelque 20 000 gènes produisant des protéines. Pour les patients, nous sommes en mesure de proposer une prise en charge globale par des médecins généticiens, des éthiciens ou encore des bio-informaticiens, lesquels sont rejoints par des spécialistes selon les pathologies ciblées, comme des neurologues, des cardiologues ou des pédiatres par exemple. Nous nous efforçons de distinguer, dans le patrimoine génétique des patients, les mutations qui sont susceptibles de provoquer des pathologies de celles qui sont bénignes. Sur la centaine de cas que nous avons eu à traiter, nous avons trouvé les causes moléculaires du problème dans près de 30% d’entre eux. Cela peut paraître faible, mais ce chiffre est énorme au regard des quelque 4%, au mieux, que nous arrivions à atteindre avec les outils génétiques conventionnels