Journal n°115

L’imagerie médicale donne une seconde vie à la médecine légale

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Conceptrice d’une technique révolutionnaire d’autopsie «virtuelle», la professeure Grabherr publie ce mois un ouvrage de référence dans le domaine de la médecine légale

Qu’ont en commun Yasser Arafat, Lady Di et Ahmed Ali Abdullah, un détenu de Guantanamo retrouvé pendu dans sa cellule en 2006? Ces trois personnes décédées ont mobilisé l’expertise du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) chargé d’élucider les causes de leur mort. Ces enquêtes délicates ont été menées sous la direction du professeur Patrice Mangin, ancien directeur du CURML. Le 1er janvier dernier, celui-ci a en effet cédé sa place à Silke Grabherr. Récemment nommée professeure à l’Institut de médecine légale de la Faculté de médecine, cette dernière a mis au point une technique d’imagerie post mortem qui a permis au centre de devenir leader mondial dans le domaine. Entretien.

En quelques années, le CURML a acquis une réputation internationale. D’où vient-elle?

Silke Grabherr: En premier lieu, il y a la renommée du professeur Mangin. Ensuite, le centre dirige plusieurs recherches d’envergure qu’il n’aurait pas été possible de mener à l’étranger par manque de financement. Par ailleurs, des compétences très variées sont regroupées au sein du CURML (lire encadré) qui s’appuie ainsi sur son interdisciplinarité pour présenter des analyses complètes de chaque situation médico-légale. Dans la plupart des pays, chaque spécialiste envoie son rapport au procureur, qui doit alors en faire la synthèse. Enfin, un sévère contrôle interne a été mis en place, bien au-dessus des standards internationaux en vigueur.

Vous avez mis au point l’autopsie «virtuelle». De quoi s’agit-il?

Il s’agit d’une technique d’imagerie forensique, appelée angiographie post mortem. Cette méthode permet d’observer l’intérieur d’un corps sans l’ouvrir. L’idée que j’ai développée a été de rétablir la circulation intracorporelle à l’aide d’une pompe, puis d’injecter un liquide de perfusion qui véhicule le produit de contraste. Cela permet d’obtenir des images des différentes phases: artérielle, veineuse et dynamique. Suivant les cas, on obtient même des résultats supérieurs à ceux d’une autopsie traditionnelle, où il n’est pas possible de déceler toutes les lésions. L’ouvrage Atlas post mortem angiography, dont la sortie est prévue en avril aux éditions Springer, comprend 600 pages richement illustrées qui présentent en détail la technique, ses alternatives et la manière d’interpréter correctement les images.

L’imagerie forensique est déjà devenue une technique standard. Quelles sont les nouvelles pistes en médecine légale?

Malgré tous les examens que l’on pratique, il y a toujours des cas où la cause du décès n’est pas identifiée. Notre but est de réduire ce chiffre. D’énormes progrès sont attendus grâce à l’IRM. Il existe également de nouvelles techniques en toxicologie qui permettront le développement d’appareils capables d’établir une cartographie des substances présentes au sein d’un prélèvement. La recherche se concentre également sur les marqueurs précoces de l’ischémie cardiaque et l’autopsie moléculaire. Les résultats de cette dernière sont particulièrement importants pour la prévention au sein de la famille.

Quels sont les défis actuels de la médecine légale?

Avec les restrictions budgétaires que l’on connaît, le financement de la recherche devient de plus en plus difficile. Mais je suis surtout inquiète du phénomène de privatisation des analyses médico-légales. En Allemagne par exemple, les instituts de médecine légale n’ont presque plus de laboratoires d’analyses génétiques. Les prélèvements sont envoyés en Chine ou en Inde. En plus du problème de traçabilité que cela engendre, les échantillons sont difficilement récupérables s’il s’avère nécessaire de pratiquer de nouvelles analyses. Nos résultats ont des conséquences lourdes pour les personnes concernées et un contrôle étatique reste nécessaire.

Que pensez-vous de l’engouement du petit écran pour la médecine légale?

Il procure une visibilité très positive à notre domaine. La relève est assurée. Toutefois, cela provoque aussi beaucoup de voyeurisme et le nombre de demandes pour assister aux autopsies a littéralement explosé. Par ailleurs, ces séries ne sont pas le reflet de la réalité et donnent de faux espoirs aux familles, qui ne comprennent par exemple pas pourquoi un rapport d’autopsie peut prendre plusieurs mois à être rendu.

| Vendredi 18 mars |

La médecine légale par l’image: mythe ou réalité?

Leçon inaugurale

17h | Auditoire César Roux

CHUV, Lausanne


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