Un sarcophage romain redécouvert à Genève
15 décembre 2010. C’est à l’occasion d’un contrôle d’inventaire que des employés de l’Administration fédérale des douanes découvrent, au fond d’un entrepôt des Ports Francs, sous un tas de couvertures et de cartons vides, un sarcophage romain magnifiquement conservé datant du IIe siècle après J.-C. (lire ci-contre). Orné des 12 travaux d’Hercule et pesant près de 3 tonnes, celui-ci est d’une valeur inestimable. Il appartient à deux frères marchands d’antiquités qui l’ont hérité de leur père, décédé dans le vol SR111 de Swissair.
Suite à cet événement, en présence de doutes sérieux sur sa provenance, l’objet est séquestré. Dans la foulée, une procédure est ouverte par le Ministère public genevois. S’ensuivent sept années d’enquête et de procédures judiciaires avant que l’histoire ne prenne fin en mars dernier avec le retrait du dernier recours et la confirmation de l’ordonnance du procureur: le sarcophage doit être restitué à la Turquie, d’où il a été extrait de manière illicite. Avant son retour en septembre prochain, il pourra toutefois être admiré par le public dans les locaux de l’Université de Genève (lire encadré). Retour sur une extraordinaire saga judiciaire.
L’hypothèse la plus probable est que le sarcophage ait été extrait d’une fouille illicite menée dans les années 1970
Établir la provenance exacte d’un tel objet n’est pas une mince affaire. Un premier examen de l’Office fédéral de la culture permet d’établir que celui-ci provient vraisemblablement du site archéologique de Perge, dans la région d’Antalya. Ce que la Turquie confirme en 2012 en exigeant sa restitution, toute antiquité retrouvée dans son sous-sol appartenant à l’État. L’hypothèse la plus probable est que le sarcophage ait été extrait d’une fouille illicite menée dans les années 1970 dans la nécropole du site.
Pour le Ministère public genevois, il s’agit d’abord de prouver que la pièce provient bel et bien de Perge, avant de pouvoir la restituer. Les investigations sont menées en collaboration avec les autorités pénales turques. Les enquêteurs se rendent sur place en juillet 2013 pour collecter des échantillons et auditionner par la même occasion le directeur du Musée d’Antalya.
Cet entretien fait notamment apparaître que la nécropole de Perge a connu de nombreux pillages pendant l’Antiquité et que le sarcophage conservé au Musée d’Antalya, comme l’ensemble de ceux encore présents sur le site, présentent une même marque: un trou sur le côté permettant aux pilleurs de mettre la main sur les trésors enfouis avec les corps des défunts. Une détérioration qui est également visible sur la pièce retrouvée à Genève.
Les poussières retrouvées sur le sarcophage sont pratiquement identiques à la terre prélevée à Perge
Au retour des enquêteurs, trois expertises complémentaires sont demandées: un rapport archéologique (réalisé par Marc Waelkens de l’Université catholique de Louvain) ainsi que des analyses comparatives de terre et de marbre. Ces dernières sont réalisées à l’UNIGE, par Branimir Segvic, collaborateur scientifique au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences) et Edwin Gnos, professeur titulaire au même Département et conservateur au Muséum d’histoire naturelle. L’analyse minéralogique montre que les poussières retrouvées sur le sarcophage sont pratiquement identiques à la terre prélevée à Perge, prouvant ainsi avec quasi-certitude que ce dernier y était enterré. Le marbre est identifié comme provenant de Dokimeion, une carrière proche d’Antalya. Quant au rapport archéologique, il ne laisse aucun doute: la stylistique est identique à celle qu’on retrouve dans la région.
À la lumière de ces éléments, le procureur rend une ordonnance de classement et de restitution le 21 septembre 2015. L’acquéreur étant décédé, personne n’est poursuivi, mais l’objet doit retourner à la Turquie. Après deux recours des propriétaires, dont le dernier a été retiré en mars dernier, la décision de restitution devient définitive.
Dans cette affaire, le gouvernement turc a été représenté par le professeur Marc-André Renold, directeur du Centre universitaire du droit de l’art, titulaire de la chaire Unesco en droit international des biens culturels et avocat. Bien que ces événements se déroulent dans un contexte politique délicat, le professeur reste enthousiaste: «Cette restitution est un exemple particulièrement réussi de collaboration judiciaire internationale. Le sarcophage retourne là d’où il vient et l’essentiel, même si l’on ne pourra peut-être pas empêcher la récupération nationaliste, est qu’il pourra enfin être vu par le public, ici à Genève, puis en Turquie, au Musée d’Antalya.»
Genève possède une tradition d’arbitrage international dans le commerce, qui pourrait très bien être transposée dans le domaine culturel
L’affaire du sarcophage est une illustration particulièrement frappante de la mise en œuvre de la Loi suisse sur le transfert international des biens culturels entrée en vigueur en 2005, suite à la ratification de la Suisse de la Convention de l’Unesco de 1970 sur ce sujet. «On constate qu’il y a bien d’autres manières que la justice pénale pour résoudre un litige, explique Marc-André Renold. Un grand nombre d’affaires se résolvent différemment: arbitrage, médiation, négociation, etc. C’est plus confidentiel mais aussi plus efficace, moins cher et les résultats sont souvent équitables. Dans la plupart des cas, les enjeux dépassent largement le juridique, ils sont politiques, culturels ou historiques.»
Ainsi, la base de données ArThemis, fruit d’un projet FNS mené pendant trois ans par le Centre du droit de l’art et soutenue actuellement par l’Unesco, recense de nombreux cas de résolution de litiges dans le domaine des biens culturels. Le Centre a par ailleurs l’ambition de mettre sur pied une plateforme de résolution des litiges dans la cité de Calvin. Pour le professeur, «Genève possède une tradition d’arbitrage international dans le commerce, qui pourrait très bien être transposée dans le domaine culturel.»