Journal n°76

Quelques bouffées de vapeur pour une révolution sanitaire

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La «e-cigarette» représente une alternative inédite au tabac. Elle devrait donc rapidement être autorisée en Suisse selon Jean-François Etter, expert internationalement reconnu en matière de prévention

Après cinquante ans de lutte acharnée, la guerre contre le tabagisme est peut-être sur le point de connaître un tournant majeur. Apparue sur le marché il y a une dizaine d’années, la cigarette électronique jouit en effet d’une popularité croissante et laisse entrevoir la possibilité d’un changement aussi inattendu qu’inespéré des habitudes des accros à la nicotine. Cette évolution se déroule pourtant dans un silence qui incommode de plus en plus Jean-François Etter, professeur à la Faculté de médecine et expert internationalement reconnu dans le domaine de la prévention du tabagisme. Afin de mieux faire connaître ce que l’on sait de ce produit, il a publié un ouvrage, sous forme de guide à l’intention des responsables politiques et de la santé, des fumeurs et du public en général. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a incité à écrire un livre sur la cigarette électronique?
Jean-François Etter:
J’ai constaté beaucoup d’ignorance sur ce thème. On entend dire, par exemple, qu’il n’y a pas de recherche sur la cigarette électronique. C’est faux. Certes les données sont encore très lacunaires, mais il y en a suffisamment pour pouvoir affirmer un certain nombre de choses. Par ailleurs, j’estime qu’il est urgent d’avoir un débat sérieux et documenté sur la place de la nicotine dans notre société et dans la loi.

Pour quelles raisons?
Pour la première fois depuis l’apparition des gommes et patchs à la nicotine, dans les années 1970, les personnes désireuses d’arrêter de fumer disposent d’un produit satisfaisant, qui diffuse rapidement la nicotine dans le sang et provoque une expérience similaire au plaisir de fumer. Jusqu’ici, la réglementation ne laissait aux personnes dépendantes à la nicotine que deux possibilités. Soit elles se tournaient vers le tabac, mortellement dangereux, soit elles achetaient des gommes ou des patchs, qui sont peu satisfaisants. Cette réglementation tue des millions de gens chaque année.

En quoi la cigarette électronique change-t-elle la donne?
Sa popularité croissante va faire exploser cette unique alternative, en proposant une troisième gamme de produits, une voie médiane pour les personnes dépendantes. C’est une révolution en termes de santé publique. C’est aussi ce qui m’incite à dire qu’il faut rapidement autoriser en Suisse la vente de e-cigarettes et du liquide de remplissage contenant de la nicotine. La consommation de tabac tue chaque année 8000 personnes en Suisse. Veut-on attendre cinq ans et 40 000 décès supplémentaires avant de légiférer?

Est-ce une position minoritaire dans les milieux de la prévention?
Certains de mes collègues ne partagent pas encore ce point de vue, mais les choses sont en train de changer. Je crois que cette attitude d’extrême méfiance s’explique en grande partie par l’expérience vécue dans les années 1970 par les milieux de la santé publique lorsqu’ils ont appuyé l’idée, lancée par les fabricants, selon laquelle les cigarettes légères étaient moins nocives. Ils se sont fait avoir, et ils ont peur que cela se reproduise aujourd’hui.

La cigarette électronique, lorsqu’elle diffuse de la nicotine, maintient en tout cas les gens dans la dépendance…
C’est probable, mais certains ex-fumeurs sont aussi dépendants des gommes de nicotine, sans que cela constitue un problème de santé publique. Il y a bien entendu des bémols. Les produits utilisés dans les cigarettes électroniques, le propylène glycol et le glycérol, sont présents dans l’alimentation, les cosmétiques, les médicaments ou encore pour diffuser de la fumée dans les salles de concert. Ce ne sont pas des substances conçues pour être inhalées, et l’on ne connaît pas leurs effets à long terme. Une expérience assez cruelle faite dans les années 1940 sur des singes exposés durant un an à des vapeurs de propylène glycol n’a pas montré de problèmes de santé significatifs. Mais même si ces substances devaient se révéler toxiques, elles resteraient infiniment moins dangereuses que la cigarette.

Quelle est la situation au niveau législatif en Suisse?
Une lettre d’information de l’Office fédéral de la santé publique datant de 2010 autorise à titre personnel l’importation, via Internet, de 150 ml ou de 150 cartouches de liquide de remplissage contenant de la nicotine. Il s’agit donc d’une tolérance, car la loi interdit la nicotine sauf dans les médicaments et le tabac. Mais c’est insuffisant, il faut autoriser la vente de e-cigarettes avec nicotine, tout en restreignant l’accès pour les mineurs. Les analystes financiers ont une réflexion à long terme sur le sujet.

Et que disent-ils?
Certains prévoient que la consommation de cigarettes électroniques dépassera celle des cigarettes ordinaires d’ici à dix ans.


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