Journal n°83

Un labo mobile forme les interprètes en zones sensibles

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Le programme en interprétariat mis sur pied par la FTI et dédié à la formation en contexte de guerre ou de crise humanitaire inaugure son premier laboratoire mobile à Nairobi, en partenariat avec l’ONU

En 2005, l’Organisation internationale des migrations contactait la Faculté de traduction et d’interprétation (FTI) pour former des interprètes travaillant en Irak. C’est sur cette base qu’est né InZone. Aujourd’hui, ce programme combine formation présentielle et à distance pour permettre à de futurs interprètes humanitaires d’œuvrer en contexte difficile – dans des camps de réfugiés ou en zones de guerre par exemple –, et de participer ainsi, sur place, à la défense des droits des minorités. L’UNIGE vient de signer un partenariat avec l’ONU pour la création d’une unité de formation au siège africain de l’organisation, à Nairobi, permettant à InZone d’inaugurer ainsi son premier laboratoire mobile au Kenya. Barbara Moser-Mercer, directrice du Département d’interprétation de l’UNIGE et du projet InZone, explique la philosophie qui sous-tend cette opération.

Que représente l’inauguration de ce laboratoire mobile?
Barbara Moser-Mercer: Cet «InZone@UNIGE Learning Hub» est la première unité légère adaptée à la formation d’interprètes en zones fragiles. Cette unité est bien davantage que le container dont elle a l’air à première vue. A l’intérieur, dix apprenants peuvent prendre place et disposent d’un poste de travail doté d’un écran, utile aussi bien pour l’enseignement présentiel qu’à distance. Le seul ordinateur présent, qui fait office de serveur, a lui-même été conçu spécialement pour les pays en voie de développement et ne contient aucune pièce mobile susceptible de casser. Le laboratoire utilise en outre la technologie solaire pour son alimentation et pour la ventilation. Tout a été pensé pour que cette unité puisse être efficiente du point de vue énergétique et offrir des outils de communication aux futurs interprètes humanitaires.

Hormis Nairobi, dans quels lieux prévoyez-vous d’implanter ces «learning hubs»?
Le premier laboratoire mobile va être monté dans un camp de réfugiés des Nations unies, car cette localisation nous fournit un cadre suffisamment sécurisé pour pouvoir accueillir les apprenants. Nous imaginons déployer ce type de structures également hors de camps de réfugiés, dans des zones en contexte fragile comme la République démocratique du Congo ou en Afghanistan, pour la formation d’interprètes en droit humanitaire et en justice transitionnelle. Les pays de la Corne de l’Afrique sont aussi considérés. Dans tous les cas, nous travaillons en partenariat avec nos contacts sur place, de même qu’avec les organisations internationales, comme le CICR ou le HCR, pour déterminer les lieux susceptibles de nous accueillir.

Pourquoi est-il important de former, sur place, des interprètes?
Dès le début du projet InZone, nous sommes partis du constat que la communication dans des zones en contexte fragile posait problème. Les minorités ne peuvent plus s’exprimer. L’anglais, langue de pouvoir, domine. Sur place, l’essentiel des moyens financiers est alloué à la fourniture de nourriture et d’eau potable, non à l’engagement ou à la formation d’interprètes. Nous avions pour ambition de fournir une offre de formation gratuite et surtout adaptée aux besoins rencontrés sur le terrain. Cette approche «bottom-up» nous permet de monter nos programmes en faisant participer également les organismes de formation sur place et de respecter ainsi une approche responsable sur le terrain. C’est ainsi que nous travaillons avec l’Université Kenyatta et mettrons sur pied, dès février prochain, un certificat conjoint pour interprètes de liaison, en respectant les standards kényans.

Vous indiquez qu’InZone peut profiter à la formation des femmes. Pourquoi cela?
Contrairement à l’UNIGE, où une majorité de nos étudiants en interprétation sont des femmes, les interprètes en zones de conflit ou en crise sont très souvent des hommes. Les femmes doivent compter avec des obstacles qui leur sont particuliers. Par exemple, elles ne sont pas toujours libres de se déplacer seules et de couvrir de longues distances pour se rendre de manière suivie dans un centre de formation. Le risque de viol reste élevé. Nous devons donc leur fournir, sur place, une possibilité de suivre une formation dans un espace sécurisant.

Quelle part consacrez-vous à la formation à distance?
Tout dépend du programme. Au Kenya, pour les interprètes de liaison, 80% de la formation se fait à distance. Nous allons bientôt lancer, en collaboration avec le CERAH, une formation typiquement en ligne, un MOOC, en nous appuyant sur la plateforme en ligne Coursera.