Journal n°138

Le durcissement des conditions d’accueil affecte la santé mentale des migrants

image-3.jpg

Un migrant à la frontière entre la Hongrie et la Serbie, en septembre 2015.  AFP / Mohammed Elshamy / ANADOLU AGENCY

Les pays d’accueil ont toujours redouté les maladies physiques (VIH, tuberculose...) des demandeurs d’asile. En réalité, c’est le plus souvent de détresse psychologique que souffrent ces populations. Les demandeurs d’asile sont en effet nombreux à avoir vécu des événements traumatiques dans leur pays d’origine ou durant leur parcours migratoire. Ce qui peut occasionner une vulnérabilité psychique, voire des troubles psychopathologiques. Loin d’atténuer le phénomène, les conditions d’accueil difficiles et les contraintes liées à l’intégration rapide dans les pays d’accueil provoquent un épuisement psychique et agissent comme des facteurs de maintien des troubles. Hypervigilance, anxiété, dépression, douleurs somatiques: autant de symptômes résultant de l’insécurité liée au statut de réfugié et à la difficulté de s’intégrer socialement et professionnellement.

Tels sont les résultats d’une synthèse menée par Betty Goguikian Ratcliff, chercheuse à la Section de psychologie (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, FPSE) et deux de ses collègues de l’Université de Neuchâtel. Publié dans le deuxième numéro de higlights – le magazine électronique du Pôle de recherche national on the move basé à Neuchâtel –, le travail démontre l’importance d’une réflexion sur les pratiques d’accueil et d’accompagnement à long terme de ces populations vulnérables.

L’article réalise la synthèse d’une quinzaine d’études, parues entre 2007 et 2017 et menées dans différents pays européens dont la Suisse. Il en ressort qu’au lieu d’être atténués par un environnement offrant la sécurité et répondant aux besoins matériels minimaux, les symptômes du syndrome de stress post-traumatique et de la dépression, par exemple, sont aggravés, réactivés, voire parfois provoqués par les conditions d’accueil difficiles réservées aux migrants.

Le phénomène n’est pas marginal puisque, en 2016, la Suisse a enregistré 27 207 nouvelles demandes d’asile, contre 39 523 en 2015. Au final, seuls 22% de ces personnes obtiennent le statut de réfugié.

«Aujourd’hui, les conditions d’asile se durcissent partout en Europe alors que la migration, y compris celle des mineurs non accompagnés, ne cesse d’augmenter», souligne Betty Goguikian Ratcliff.

Les demandeurs d’asile sont aussi confrontés à des attentes contradictoires. Il est notamment demandé aux réfugiés de subvenir rapidement à leurs besoins, afin de ne plus dépendre des aides financières du pays hôte. Mais la précarité de leur statut légal leur bloque de fait l’accès au marché du travail

La durée de la procédure d’asile et la crainte du renvoi, cumulées aux expériences prémigratoires, créent notamment un phénomène d’usure et débordent les capacités de résilience.

Les demandeurs d’asile sont aussi confrontés à des attentes contradictoires. Il est notamment demandé aux réfugiés de subvenir rapidement à leurs besoins, afin de ne plus dépendre des aides financières du pays hôte. Mais la précarité de leur statut légal leur bloque de fait l’accès au marché du travail alors qu’ils y auraient droit.

Chacun fait alors face à sa manière: alcoolisme, dépression, difficultés respiratoires ou douleurs somatiques. Autant de maux traduisant une importante détresse psychologique que de meilleures conditions d’accueil pourraient en partie éviter.
Selon les auteures, il faut raccourcir les délais d’attente et cesser de criminaliser, ou psychiatriser, la migration d’asile. Une politique inclusive permettant de recréer un sentiment d’appartenance à une communauté est le meilleur remède pour créer les conditions de la résilience.

Afin de mettre en lumière cette problématique, la FPSE et la Faculté de médecine, en collaboration avec l’Université de Lausanne, ont mis sur pied un nouveau Certificat de formation continue universitaire (CAS) intitulé «Santé mentale, migration et culture: évaluer et soigner». Cette formation, qui débutera en février 2018 (les inscriptions sont possibles jusqu’au 15 novembre 2017), est destinée aux professionnels des soins engagés dans la prise en charge des migrants. Il s’agit de connaître et de comprendre les politiques migratoires suisse et européenne afin d’analyser leurs impacts sur les conditions de vie et la santé des personnes concernées. Ce CAS permet aux participants d’aborder des questions cliniques, juridiques et sociales concernant l’expérience migratoire, la différence culturelle, les traumatismes découlant de violences collectives et leurs séquelles à long terme, ainsi que différentes formes de vulnérabilité psychosociale liées à l’exil. —

www.unige.ch/formcont/cassmmc/