Journal n°140

La première régente de l’Égypte ancienne livre une part de ses secrets

image-6.jpgOccupée de façon ininterrompue au cours de l’histoire de l’Égypte antique, la nécropole de Saqqâra, située au sud du Caire, est fouillée depuis les années 1960 par une mission archéologique d’abord française, puis franco-suisse. Les recherches, menées depuis 2008 sous la responsabilité de Philippe Collombert, professeur d’égyptologie au Département des sciences de l’Antiquité de l’UNIGE, s’intéressent plus particulièrement à la nécropole royale qui entoure la pyramide du pharaon de la VIe dynastie Pépi Ier (-2289/-2255). 

Fouillé cet automne, le temple funéraire de la reine Ânkhnespépy II a donné lieu à plusieurs découvertes importantes. À commencer par la mise au jour d’une tête en bois vieille d’au moins 3000 ans. De grandeur nature, munie d’un cou élancé et de larges boucles d’oreilles en forme de disque, elle a été trouvée aux abords du temple funéraire de la reine. Cette dernière a été l’épouse de Pépy Ier, puis celle de Mérenrê, dont elle aura un fils: Pépy II. Ce dernier accédant très jeune au titre de pharaon, elle a sans doute joué un rôle politique majeur, comme en témoignent la taille de sa pyramide (30 mètres de côté, contre 20 pour les autres reines de la nécropole) et la présence, pour la première fois pour une reine dans l’histoire pharaonique, de textes gravés dans ses appartements funéraires.

Le style de l’objet ne correspond en effet pas à celui de l’Ancien Empire, caractérisé par des visages ronds et des joues rebondies, mais se rapproche de celui de Néfertiti

La tête en bois exhumée par l’équipe de Philippe Collombert provient probablement d’une tombe, mais pas forcément celle d’Ânkhnespépy II. Le style de l’objet ne correspond en effet pas à celui de l’Ancien Empire, caractérisé par des visages ronds et des joues rebondies, mais se rapproche de celui de Néfertiti, qui a vécu près de 900 ans plus tard. On connaît d’autres sculptures de ce type datées avec certitude du Nouvel Empire (-1500/-1000). Il a été montré que ces têtes servaient de porte-perruques, le long cou étant fiché dans une base en bois pour supporter le poids de la perruque, et qu’elles faisaient partie du trousseau funéraire de certaines femmes de la haute société de la XVIIIe dynastie.

La trouvaille semble donc dater du Nouvel Empire. Les archéologues n’excluent pourtant pas complètement qu’il s’agisse d’une représentation de la reine Ânkhnespépy II. Ils rappellent en effet que la statuaire féminine en bois de l’Ancien Empire est très mal connue, rendant difficiles les comparaisons stylistiques. Seuls une trentaine d’exemplaires sont conservés, dont trois uniquement sont de grande taille et aucun n’appartenant à une reine. Une datation au carbone 14, prévue prochainement, devrait apporter une réponse.

Autre découverte d’intérêt: un fragment d’obélisque en granit rose d’Assouan de 2,5 mètres de hauteur, le plus gros jamais trouvé à ce jour pour l’Ancien Empire. Un cartouche gravé sur une de ses faces prouve qu’il appartenait au complexe de la reine Ânkhnespépy II. Sa dimension originale est estimée à 5 mètres de hauteur. Un format colossal, en comparaison de ceux de 1,4 à 2,2 mètres trouvés à l’entrée des tombeaux d’autres reines, qui confirme, s’il le fallait, le statut éminent de la reine.

L’hypothèse avancée est que ce très grand obélisque se serait brisé avant d’être réparé

À cette trouvaille s’ajoute celle d’un second fragment de granit de forme pyramidale. Au premier coup d’œil, tout porte à croire qu’il s’agit de la pointe du deuxième obélisque (ceux-ci allant par paire). Mais la certitude des chercheurs disparaît après l’avoir dégagé et avoir constaté que la partie inférieure est inachevée ou reprise et qu’une cavité révèle un système de tenon et mortaise, suggérant un obélisque en deux parties (pointe et fût). Un procédé inexistant dans l'Égypte ancienne.

Les archéologues supposent alors qu’il s’agit d’un pyramidion (sommet d’une pyramide) et cherchent à déduire de quelle construction il pourrait être issu, quand un nouveau fragment de granit vient leur apporter la solution. Sur celui-ci est, en effet, gravé le cartouche du roi, dont l’inscription et l’emplacement sont parfaitement identiques à celui observé sur le premier obélisque. Ce morceau de granit serait le haut du fût du second obélisque, avec une partie supérieure plate dans laquelle viendrait s’imbriquer la pointe. L’équipe est donc en présence du premier obélisque «en kit». Le procédé n’existant pas à cette époque, l’hypothèse avancée est que ce très grand obélisque se serait brisé avant d’être réparé.

Enfin, les archéologues ont retrouvé un texte de consécration de l’ensemble funéraire au contenu très intéressant. La dernière phrase «Sa majesté (le roi Pépy II) a agi pour elle (la reine Ânkhnespépy II) quand elle était dans la Résidence (le Palais)» confirme que la mère de Pépy II a été au pouvoir. Une façon détournée de dire l’indicible, car dans l’idéologie pharaonique, le roi est capable, dès sa mise au monde, de tout faire, y compris de régner sur son pays. Il n’est donc pas question de suggérer que quelqu’un gouverne à sa place. —