Journal n°145

«Les imams ont soif de comprendre nos processus démocratiques»

image-1.jpgLe silence règne dans la salle. Dans ce climat propice à la réflexion, les visages sont concentrés. L’assouplissement des critères d’accès au suicide assisté: tel est le sujet qui a été soumis aux participants du cours d’éthique.
Huit personnes ont choisi de suivre la formation pour les imams et les enseignants d’instruction religieuse islamique. Proposée depuis septembre dernier par l’Université, elle vise entre autres à inciter les participants à aborder les débats de société avec des arguments rationnels plutôt qu’en évoquant des convictions personnelles.
À l’origine de l’élaboration de ce programme inédit en Europe, le besoin exprimé par certaines communautés musulmanes de disposer d’une formation universitaire leur permettant de mieux s’intégrer et de mieux comprendre la société suisse. Puis, une volonté politique des autorités genevoises de développer un volet d’intégration en parallèle aux mesures sécuritaires déjà mises en place afin d’éviter la stigmatisation de communautés particulières. Enfin, une série de discussions avec Yadh Ben Achour, docteur honoris causa 2017 de l’UNIGE, autour de l’énorme défi que représente aujourd’hui l’islam pour l’Europe, et inversement (lire encadré ci-dessous).

Une approche inédite
Directeur du programme, le professeur François Dermange (Faculté de théologie) raconte: «De par sa neutralité et sa longue tradition internationale, Genève est plus à même que d’autres villes de dispenser ce type de formation. Son approche académique du religieux, en particulier, est assez unique.» La mise en place d’un tel cursus a d’ailleurs été saluée par le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, lors de son passage à l’UNIGE le 20 février dernier.
Conçue en concertation étroite avec le Bureau d’intégration des étrangers (Département de la sécurité et de l’économie), la formation complète est composée de deux semestres, donnant lieu à un Certificat d’études avancées (CAS). Leur contenu a été élaboré avec des experts lors d’une journée de consultation.
Après un premier semestre assuré par la Maison des langues et consacré à l’étude de la langue française et au décodage socioculturel de la société suisse, la seconde partie de la formation porte sur cinq axes: histoire, droit, dialogue interreligieux et interculturel, éthique et théologies de l’islam. François Dermange se réjouit: «Ce dernier axe est le plus original et aussi le plus innovant. Il s’agit d’aborder la diversité de l’islam comme les autres domaines du savoir, de manière scientifique et critique, et d’analyser les textes avec objectivité.» Pour Elisa Banfi, collaboratrice scientifique à l’Institut d’études de la citoyenneté (Faculté des sciences de la société) et coordinatrice de la formation, «il est important que les imams se rendent compte qu’en Suisse, les traditions religieuses font l’effort d’analyser la thématique religieuse avec des outils académiques. L’approche méthodologique critique est très importante à l’UNIGE. Si on augmente les compétences scientifiques des leaders religieux, les jeunes des communautés musulmanes pourront trouver des réponses à leurs questions citoyennes directement auprès de leurs leaders religieux.»
La compréhension des processus démocratiques propres à la Suisse a permis à certains participants de sortir de la victimisation, relève Elisa Banfi. Quant aux différentes réflexions menées autour des conditions du dialogue interreligieux, elles ont stimulé la volonté des imams d’apprendre, même au-delà de la formation proposée. Des heures supplémentaires ont été demandées après chaque enseignement.

Action citoyenne
«Si la coordination du programme et les honoraires des professeurs invités sont financés par le Bureau d’intégration des étrangers, les professeurs de l’UNIGE enseignent bénévolement, dans un esprit de service à la cité. «Cet engagement est un très bon exemple d’action citoyenne que peut mener une université», se réjouit François Dermange.
Lancée en tant que projet pilote, la formation sera évaluée à la fin du semestre. Si elle devait se révéler pertinente, elle pourrait alors prendre une dimension romande. Des pourparlers sont d’ailleurs déjà en cours. «Nous pensons aussi développer des modules spécifiques supplémentaires, par exemple sur la condition de la femme, sur les réseaux sociaux ou sur la mort, explique encore François Dermange. À terme, l’idée serait d’offrir quelques journées de formation complémentaires par an aux imams.»  —

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