Journal n°147

La nouvelle mondialisation selon Xi Jinping

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En novembre 2013, au Kazakhstan, le président chinois, Xi Jinping, crée la surprise en annonçant son initiative des nouvelles routes de la soie (en anglais «One belt, one road (OBOR) initiative»), gigantesque réseau terrestre et maritime destiné à relier la Chine à l’Europe. L’ampleur et l’ambition du projet laissent une partie des observateurs sceptiques. Néanmoins, la démarche pragmatique de la Chine a, depuis, permis de rallier un nombre croissant de partenaires: à ce jour, une centaine de pays d’Asie, d’Europe et d’Afrique ont rejoint l’initiative. Un nouvel ordre planétaire serait-il en train de s’installer? Pour en débattre, l’Institut Confucius a donné la parole à Rémi Castets, maître de conférences à l’Université Bordeaux Montaigne, lors d’une conférence qu’il a donnée mardi 22 mai à Uni Mail. Le contenu dense de sa présentation «Nouvelles routes de la soie: intérêts stratégiques et nouveaux axes» est à l’image de l’ampleur du projet chinois. Bref tour d’horizon.

C’est le président Xi Jinping qui formalise ce projet pharaonique. En réalité, ce dernier réunit plusieurs stratégies préexistantes que le président chinois  fait converger en leur donnant une cohérence. De par son nom, l’initiative s’appuie sur la symbolique prestigieuse des anciennes routes de la soie et les fructueux échanges commerciaux ayant prospéré jusqu’au milieu du deuxième millénaire de notre ère (lire ci-dessous), des échanges qui ont contribué tant au rayonnement de la Chine qu’à l’économie des pays voisins.

L’objectif de Xi Jinping est de favoriser la coopération entre les partenaires de l’initiative et de défendre leurs intérêts mutuels

Aujourd’hui, l’objectif de Xi Jinping est de favoriser la coopération entre les partenaires de l’initiative et de défendre leurs intérêts mutuels. Cela implique de coordonner leurs politiques et d’améliorer leurs relations, d’interconnecter leurs infrastructures et de les développer, d’accroître le commerce international.

Concrètement, il s’agit d’abord d’axes terrestres de plus de 10 000 km qui relieront la Chine à l’Europe, à la Méditerranée et au Moyen-Orient, via l’Asie centrale et l’espace post-soviétique par un réseau ferroviaire et routier. Les infrastructures de transport d’hydrocarbures déjà mises en place avec l’Asie centrale et la Russie seraient renforcées via la construction de nouveaux gazoducs et oléoducs. Un axe maritime permettrait quant à lui d’atteindre les grands ports européens en passant par l’océan Indien et l’Afrique.

L’initiative des nouvelles routes de la soie répond à plusieurs objectifs stratégiques de la Chine. Elle stimule l’économie de ses partenaires et génère des interdépendances qui favorisent les relations politiques, notamment par le biais de systèmes de coopération financière. Elle sécurise également son approvisionnement énergétique en raccordant son territoire par des pipelines aux gisements de pays alliés et en mettant en place un transport naval indépendant qui lui permet d‘acheminer le pétrole produit en Afrique ou au Moyen-Orient. Par ailleurs, en négociant des partenariats économiques et l’accès aux ports de plusieurs pays de l’Océan Indien, la Chine ambitionne d’acquérir une position géostratégique dans la région et de desserrer l’étau que lui impose la marine américaine. Enfin, au niveau intérieur, l’ouverture vers l’Asie centrale, en accélérant le développement du Grand ouest chinois, permet d’améliorer le niveau de vie et de favoriser la stabilisation de ces provinces autrefois parmi les plus pauvres du pays.

L’initiative regroupe à ce jour des projets estimés entre 800 et 1000 milliards de dollars

Cette initiative répond aussi aux ajustements du modèle de croissance du pays. Depuis les années 1980, le développement économique en Chine reposait sur la captation des investissements étrangers. Cependant, le mouvement s’est peu à peu inversé depuis le lancement de la  stratégie du «Go global» lancée dans les années 2000 qui encourage les entreprises chinoises à investir à l’étranger. Ces efforts ont rapidement porté leurs fruits: depuis 2014, la Chine investit plus à l’étranger qu’elle ne reçoit d’investissements.

L’initiative regroupe à ce jour des projets estimés entre 800 et 1000 milliards de dollars. Cofinancés par la Chine, ces projets continueront à bénéficier au pays: ses entreprises possèdent un savoir-faire et assureront en partie la réalisation des travaux.

Pour Rémi Castets, une deuxième mondialisation est en train de s’opérer. Loin des radars du grand public, la Chine renforce pas à pas son influence. Certes, elle risque d’être confrontée à un certain nombre d’obstacles. Néanmoins, son pragmatisme et sa capacité à penser ses stratégies sur la durée en font un concurrent des plus crédibles pour les États-Unis. —
www.unige.ch/ic

 


 Les Romains portaient déjà la soie chinoise

image-6-bis.jpgDu temps des Romains déjà, les routes de la soie étaient utilisées pour les échanges. On l’oublie souvent, mais la route s’empruntait dans les deux sens: de la soie chinoise était importée en Méditerranée (des fragments du Ier siècle av. J.-C. ont été retrouvés en Syrie), tandis que du matériel romain était envoyé en Chine (le verre y était très prisé).

C’est pour mieux décrire les relations entre la Chine et la Méditerranée durant l’Antiquité que Lorenz Baumer, professeur d’archéologie à l’UNIGE, et son collègue Wei Jian, de l’Université de Renmin, à Pékin, lancent un projet de collaboration, qui s’inscrit dans l’accord stratégique unissant les deux institutions. Leur objectif: établir une première cartographie des échanges et identifier les objets qui passaient de Méditerranée en Chine. Le travail commence par la venue en juillet de huit doctorants et de deux professeurs chinois. Ils se familiariseront avec le matériel archéologique romain pour pouvoir mieux l’identifier sur le terrain. L’été suivant, des étudiants de l’UNIGE se rendront en Chine pour y scruter les pièces stockées dans les musées et y repérer le matériel romain éventuellement entreposé. Les résultats seront exposés à Genève et à Pékin en 2020.