Journal n°148

Lésé par un contrat déséquilibré? L’empereur vous protège

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«Adjugé! Vendu! Marché conclu!» Dans l’imaginaire collectif comme dans le droit suisse des contrats, le principe veut que les personnes soient libres de s’entendre sur ce que bon leur semble, mais qu’une fois l’accord trouvé, celui-ci soit respecté.

Or, comme bon nombre de principes, il connaît des exceptions. Indépendamment de toute erreur, menace ou tromperie, l’une des parties peut en effet n’avoir d’autre choix que de consentir à un accord pourtant déséquilibré. Pire encore, son cocontractant peut profiter de cette faiblesse pour favoriser ses propres intérêts. Imaginons un vendeur qui exploiterait la détresse d’un acheteur pour s’enrichir outre mesure. C’est précisément cette «lésion» à laquelle veulent remédier la loi et la jurisprudence suisses en permettant exceptionnellement à la partie lésée de dénoncer un contrat disproportionné et de prétendre, soit à la restitution réciproque des prestations, soit à leur adaptation à de plus justes proportions. Mais à bien y regarder, ces solutions consacrées par le Code des obligations suisse et la jurisprudence du Tribunal fédéral ne sont en réalité que la transposition d’une décision impériale romaine rendue il y a presque deux mille ans!

C’est parce que ces abus ne sont ni le propre d’une époque ni celui d’une société que Cicéron s’en préoccupait déjà philosophiquement avant que l’empereur romain Dioclétien ne les combatte juridiquement au IIIe siècle, avançant des motifs d’humanité. Sa décision impériale traversera alors les siècles comme elle vaincra les oppositions pour finalement être reprise par les législateurs européens dans les codes qui réglementent aujourd’hui nos pays.

Élaborée à partir de sources primaires, ma thèse suit une trame à la fois chronologique et juridique permettant de retracer l’histoire de cette exception millénaire au principe de la liberté contractuelle, de son édiction en droit romain au IIIe siècle à sa pleine résurgence en droit suisse au tournant du XXIe siècle. A l’heure où les inégalités sociales se creusent suite aux récentes crises économiques, cette protection conférée par le droit face à des accords déséquilibrés se révèle effectivement être d’une grande actualité. à ce titre, la célèbre tirade déclamée au XIXe siècle par le juriste et religieux français Lacordaire : «Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit» ne trouve-t-elle pas une nouvelle résonance? —

Concours
Ma thèse en 180 secondes,
Finale internationale 2018, 27 septembre,
Université de Lausanne