Journal n°150

«La science de la procréation change plus vite que notre capacité à la suivre»

Le campus Valais de l’UNIGE a ouvert son semestre d’automne par une conférence organisée avec le Centre interfacultaire en droits de l’enfant. L’événement s’est tenu dans une chapelle de l’ancien hôpital de Sion transformée en centre d’innovation. Dans ce lieu chargé d’histoire, François Ansermet, pédopsychiatre, psychanalyste et professeur honoraire à l’UNIGE, était invité à évoquer les défis de la procréation à l’ère des biotechnologies.

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Fécondation in vitro, injection intracytoplasmique de spermatozoïdes, conservation des ovocytes, procréation posthume, diagnostic préimplantatoire ou préconceptionnel, plus qu’un exposé scientifique de ces nouveaux modes de procréation médicalement assistée, le professeur Ansermet s’est attaché à faire une analyse des changements que ceux-ci opèrent dans notre société et des réactions qu’ils suscitent.

«Avant tout, beaucoup de résistances, annonce-t-il. Toutes ces nouvelles technologies surprennent, dérangent. La science de la procréation change plus vite que notre capacité à la suivre. Les biotechnologies agissent sur la réalité et nous ne sommes pas capables de prédire à quoi elles aboutiront. Il en résulte un monde nouveau, inventé, qui a de quoi désorienter.» Celui qui est également membre du Comité consultatif national d’éthique en France se plaît à décrire ce genre d’assemblées comme «des observatoires de la perplexité et des angoisses contemporaines, une façon d’identifier ce qui, dans les avancées de la science et des technologies, laisse perplexe.»

Vertige. Pour François Ansermet, c’est le mot qui décrit le mieux l’état dans lequel on peut se trouver face à cette évolution. Tout comme, au milieu d’un pont suspendu, on ressentirait à la fois de l’angoisse et une certaine attirance. Ce vertige aurait trois sources différentes.

La procréation existe sans la sexualité lors d’une fécondation in vitro, origine et filiation ne sont plus liées dans les cas de dons de spermes ou d’ovules

Celle de l’origine d’abord. Alors que l’on a tendance à voir des liens de causalité entre sexualité, procréation, gestation, naissance et généalogie, les biotechnologies séparent ces éléments: la procréation existe sans la sexualité lors d’une fécondation in vitro, la gestation est dissociée de la procréation dans le cas des mères porteuses, origine et filiation ne sont plus liées dans les cas de dons de spermes ou d’ovules. La congélation des gamètes ouvre la voie d’une disjonction temporelle.

Il est possible d’aller encore plus loin en séparant les aspects biologiques des aspects sociaux avec un don de sperme combiné à la fois à un don d’ovule et à une gestation pour autrui. Dans un cas comme celui-ci, les parents d’intention ne participent à aucune étape de la procréation et de la gestation. «On pourrait imaginer, poursuit le professeur, qu’à l’avenir on fasse des enfants sans s’occuper de procréation ou de gestation, laissant ces tâches à d’autres.» Cette situation nécessiterait de définir les droits des enfants issus de telles techniques. Le débat est en cours actuellement en France pour déterminer les droits à accorder aux enfants issus de gestation pour autrui, une technique autorisée, entre autres, en Californie.

Vertige encore, provoqué par la différence. Des couples de femmes ou d’hommes, des hommes ou des femmes seul-e-s, des transgenres ou des asexuels, la parentalité pour tous soulève de nombreuses questions et crée le débat dans la société.

Vertige toujours, lorsque l’on évoque la prédiction associée à la procréation. Et c’est, pour le professeur Ansermet, la question principale. Les diagnostics préimplantatoires ou préconceptionnels divisent les conseils d’éthique. Certes, ils permettent de protéger les enfants de maladies graves, mais contribuent en retour à l’émergence d’un monde qui veut procréer sans risque.

À l’avenir, quelle sera la place du choix de ne pas choisir? Aura-t-on encore le droit de ne pas savoir?

Quant au séquençage génomique, il ouvre la voie à un monde où chacun cherche à valoriser son patrimoine génétique. Les partenaires pourraient alors se choisir en fonction de leur profil ADN, de façon à améliorer leurs supposées «possessions génétiques» à l’image des fortunes ou des terres réunies lors d’un mariage. Cette information pourrait même être introduite dans les algorithmes des sites de rencontre.

«Nous vivons déjà dans un monde très libéral qui accorde une grande place au choix, commente le professeur Ansermet. À l’avenir, quelle sera la place du choix de ne pas choisir? Aura-t-on encore le droit de ne pas savoir?»

Face à ces questions, le clinicien se doit d’adopter une posture raisonnable. «L’enjeu est d’être à la hauteur de son temps, et surtout ne pas être pris par une tentation conservatrice, insiste le professeur. Il convient également de ne pas ramener l’enfant à sa condition de procréation, de ne pas faire de son origine un destin. Cette conviction doit servir de boussole aux cliniciens et aux défenseurs des droits de l’enfant.» —

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