Opération Papyrus: l’heure du bilan
Opération Papyrus. Sous ce nom qui fleure bon les films d’espionnage se cache un projet ambitieux et novateur de régularisation des sans-papiers lancé en février 2017 par le canton de Genève. La proposition fait l’objet d’une étude scientifique menée conjointement par l’UNIGE et les HUG. Intitulée Parchemins, celle-ci vise à évaluer les effets de la normalisation du statut légal sur la santé et les conditions de vie des migrants. La première phase du projet consiste à dresser un état des lieux de la situation des sans-papiers à Genève, en termes de santé, de conditions de vie, de situation financière et d’accès à l’emploi. Un symposium en livre les résultats le 6 novembre, à Uni Mail.
«C’est la première fois que l’effet d’une politique publique de régularisation est mesuré de manière pluridisciplinaire en Europe», se réjouit Yves Jackson, responsable de la Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires aux HUG et chargé de cours à la Faculté de médecine.
Avec ses collègues, les professeurs Claudine Burton-Jeangros (SdS) et Giovanni Ferro-Luzzi (GSEM), il dirige le projet Parchemins. L’étude portera sur quatre ans, de manière à évaluer les impacts de la régularisation à moyen terme. «Les effets sur la santé ne sont probablement pas linéaires, explique Yves Jackson. Après une période de lune de miel, la confrontation à d’autres réalités, comme la compétition sur le marché de l’emploi ou les contraintes financières, se fera inévitablement ressentir».
L’échantillon est composé de deux groupes de taille égale, dont l’un va rester clandestin et donc soumis à tous les aléas que cette absence de statut légal peut engendrer
L’étude est menée auprès de 460 personnes et comporte un volet quantitatif et un volet qualitatif. «L’échantillon est composé de deux groupes de taille égale, dont l’un va rester clandestin et donc soumis à tous les aléas que cette absence de statut légal peut engendrer. Nous pourrons donc observer les différences post-régularisation», explique Yves Jackson.
Dans sa première partie, le symposium donnera la parole à trois étudiants de master pour présenter leurs travaux. Parmi eux, Aude Michel s’est intéressée aux comportements des sans-papiers en matière de santé. Sur la base de 22 études menées dans différents pays, elle montre que ceux-ci évitent ou retardent le recours aux soins, même lorsqu’un accès à ceux-ci est assuré. Les craintes liées à la découverte de leur statut et à une potentielle expulsion constituent la principale barrière. Le manque de connaissance des services disponibles et l’inquiétude face aux aspects financiers sont également mentionnés.
Riche de plusieurs années d’expérience clinique, Yves Jackson raconte: «Le statut légal modifie la perception de la santé. Les femmes enceintes effectuent par exemple leur premier contrôle plus tard que la population résidente. À cela se rajoute le fait que notre système de santé peine à faire face aux maladies spécifiques des populations migrantes – par exemple la maladie de Chagas, une parasitose inexistante en Europe qui touche plus de 7 millions de personnes en Amérique du Sud–, d’où un retard dans la prise en charge. Des mesures ont été mises en place et ont complètement changé la situation médicale de cette maladie.»
La seconde partie du symposium sera l’occasion de s’intéresser aux résultats initiaux de Parchemins. «Nos données permettent par exemple de mesurer l’impact des conditions de travail sur la santé mentale et la santé physique pour une population où les situations d’exploitation ne sont pas rares, que ce soit au niveau des horaires, des équipements de protection ou en matière de rémunération, précise Yves Jackson. Le logement, un déterminant important de la santé qui est très problématique à Genève, sera également pris en compte, par exemple au travers de l’impact sur le sommeil dû à la surpopulation dans l’habitat.» Les résultats genevois seront mis en perspectives internationales, notamment avec une intervention relatant l’impact de la régularisation des enfants sans-papiers aux États-Unis. —
Mardi 6 novembre
Vivre sans papiers: parcours, emploi et santé
Uni Mail