L’homme se féminise. Le problème, c’est qu’il devient aussi plus homophobe
Longtemps, les hommes ont construit leur masculinité principalement par opposition aux caractéristiques attribuées aux femmes. Mais depuis que la société tend vers l’égalité des genres, ils ne peuvent plus se fonder sur cette norme antiféminité. Juan Falomir, professeur à la Section de psychologie (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation), et son équipe montrent que pour compenser cette perte de repères, certains hommes affirment leur virilité en renforçant l’importance de leur hétérosexualité, marquant de ce fait un net rejet envers les homosexuels, considérés comme l’incarnation de l’homme féminin.
Ces résultats, parus le 5 janvier dans la revue Sex Roles, rendent compte de la difficulté des sociétés occidentales à accorder aux homosexuels les mêmes droits qu’aux hétérosexuels, certains hommes s’appuyant sur cette homophobie pour conserver leurs prérogatives dans une société toujours plus égalitaire.
Traditionnellement, la masculinité est un concept plus fragile que celui de la féminité
Le constat de départ des chercheurs est que traditionnellement, la masculinité est un concept plus fragile que celui de la féminité, un homme devant prouver sa virilité à la société par des actes réguliers montrant qu’il n’est pas une femme. Alors que l’identité de celle-ci est basée, par exemple, sur le fait d’être sensible, à l’écoute et de prioriser la famille au détriment de la vie professionnelle, l’homme doit certes être assuré, autonome et fort mais, avant toute chose, il ne doit pas être féminin.
Les choses changent avec la révolution féministe. La société occidentale tend toujours plus vers l’égalité des genres. Les femmes peuvent être carriéristes, indépendantes et fortes. Les hommes peuvent montrer leurs émotions et s’occuper de leur famille. Résultat: la norme antiféminité ne peut plus servir de socle à la construction masculine. Depuis plusieurs années, on parle même d’une crise de la masculinité.
Cherchant à en savoir plus, l’équipe de Juan Falomir s’est intéressée plus particulièrement au rapport entre le déclin de la norme antiféminité et l’homophobie. En effet, pour les auteurs, le stéréotype de l’homosexuel est, entre autres, quelqu’un qui transgresse l’identité de genre en incarnant la féminité chez l’homme. Les chercheurs se sont alors posé la question de savoir si la féminisation de l’homme avait un impact direct sur la diminution ou l’augmentation de l’homophobie.
Pour y répondre, les psychologues genevois ont recouru à un questionnaire permettant de mesurer l’accord d’une personne aux principales dimensions de la masculinité que sont l’évitement de la féminité, la restriction de l’émotivité, la confiance en soi, l’agressivité, la domination, l’attirance pour les rapports sexuels et l’homophobie.
Trois groupes d’hommes hétérosexuels ont répondu au questionnaire. Le premier est le groupe contrôle, c’est-à-dire qu’il a complété le questionnaire sans autre information. Au deuxième, les chercheurs ont souligné la masculinité et l’antiféminité des hommes dans la société actuelle à travers différentes études, avant de leur faire remplir le questionnaire. Quant au troisième, il a été préparé en affirmant que l’homme n’a jamais été aussi féminin qu’actuellement. Dans un deuxième temps, les participants ont répondu à un autre questionnaire visant, lui, à mesurer leur attitude envers les homosexuels (leurs droits, leur moralité, les émotions ressenties et leurs comportements) et l’affirmation de leur propre hétérosexualité.
Contre toute attente, l’homophobie et la réaffirmation de l’hétérosexualité se sont révélées bien plus fortes dans le dernier groupe, où l’homme était présenté comme étant de plus en plus féminin, que dans les deux autres. Par ailleurs, l’augmentation de l’homophobie a été principalement observée chez les hommes dits plus «traditionnels», tandis que ceux qualifiés de plus «modernes» réagissent mieux à la féminisation de l’homme et ont une meilleure perception des homosexuels.
L'acceptation de la féminisation de l’homme semble faire de l’hétérosexualité le nouveau socle de la masculinité
«Il s’agit d’un système de vases communicants, analyse Juan Falomir. En diminuant l’importance de la norme d’antiféminité, un homme compense en renforçant l’importance de la norme de l’hétérosexualité. Il trouve alors dans l’homophobie le moyen alternatif d’affirmer sa masculinité.»
En poursuivant leur analyse, les psychologues relèvent toutefois que l’augmentation de l’homophobie n’est pas directement provoquée par une volonté de réaffirmer l’opposition homme-femme. En effet, la féminité n’est plus considérée comme étant une caractéristique propre aux femmes étant donné que les hommes ont le droit de devenir, eux aussi, plus sensibles et émotifs. Seulement, précisent les auteurs, cette acceptation de la féminisation de l’homme semble faire de l’hétérosexualité le nouveau socle de la masculinité et ce, au détriment des homosexuels.
«Plus on égalise les genres, et plus il devient difficile aux «hommes traditionnels» de gérer cette égalité pour continuer à construire leur masculinité, conclut Juan Falomir. Ne pouvant plus se différencier des femmes, ils voient en l’homophobie le moyen de rétablir leur virilité.» —