«Plus qu’une exigence légale, la participation des enfants est un état d’esprit»
Inspirés par la jeune militante suédoise Greta, des étudiants protestent contre l'inaction face au changement climatique à Lausanne, le 18 janvier 2019. Photo: F. Coffrini/AFP
Le 18 janvier dernier, un peu partout en Suisse, des milliers de jeunes se mobilisaient pour le climat. Un exemple frappant de participation dans une société qui hésite encore parfois à considérer l’enfant comme un membre à part entière de la collectivité. Depuis 1989, la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (lire ci-contre) stipule pourtant que chaque enfant a des droits inhérents à sa personne, dont celui d’exprimer son opinion sur toute question l’intéressant et que celle-ci soit prise en compte. Directeur du Centre interfacultaire en droits de l’enfant, le professeur Philip Jaffé débattra de ces droits participatifs au cours de la Leçon d’ouverture du semestre de printemps le 26 février prochain. Interview.
Le Journal: Votre conférence est intitulée «Citoyen dès le berceau», est-ce un vœu pieux ou une réalité accessible?
Philip Jaffé: Sur le plan sociopolitique, accorder le droit de vote à la naissance est une solution viable en Suisse. Ma conférence me permettra d’argumenter en ce sens et d’en expliquer les modalités. Sur le plan municipal ou cantonal, il y a des objets où il est facilement admissible que les plus jeunes votent, par exemple sur l’aménagement du territoire pour les places de jeux ou dans le domaine culturel. Le consensus est facile à trouver quand il porte sur des objets limités, mais il reste encore du chemin à faire pour concevoir que notre système de démocratie directe puisse tolérer des citoyens plus jeunes.
Le but n’est pas d’abdiquer la responsabilité des adultes, mais d’enrichir la société avec des capacités qui sont largement ignorées
Pourquoi est-il important de faire participer les jeunes?
Le but n’est pas d’abdiquer la responsabilité des adultes dans quelque domaine que ce soit. L’objectif de cette participation est d’enrichir la société avec des capacités qui sont largement ignorées. Il serait intelligent de soutenir la créativité participative des enfants et des adolescents et de la reconnaître de manière beaucoup plus formelle. À Genève par exemple, les enfants sont impliqués à différents niveaux sur le plan municipal, que ce soit pour la décoration de bâches de chantier, dans la vie des musées ou à travers la mise sur pied de projets qu’ils ont eux-mêmes proposés. Une réflexion lourde a été entamée pour que cette participation devienne un automatisme dans la conduite des affaires de l’État.
Depuis quand la parole des enfants est-elle prise en compte?
Dans les années 1990, le cas de jeunes enfants maltraités qui se sont vu accorder le statut de témoin au tribunal a beaucoup marqué les esprits. Sans être un acte fondateur, cette cohorte d’enfants a fait évoluer le débat à un niveau très concret dans le domaine de la protection.
Comment la parole est-elle aujourd’hui donnée aux enfants?
S’il existe encore des participations de façade, où les adultes sollicitent l’avis des enfants, pour les ignorer ensuite impunément, le champ de la participation collaborative consiste en une série de processus dans lesquels la participation des jeunes est encouragée, comme chez les scouts par exemple. La Suisse avance à grands pas dans ce sens. Par exemple, dans le cadre de la Constitution valaisanne, il y a l’idée de former une constituante d’enfants. Ce serait une première mondiale d’une collaboration de très haut niveau dans la sphère politique. Mais le pouvoir reste finalement toujours aux mains des adultes qui décident. Enfin, il y a ce qu’on appelle la participation exécutive. On en trouve des exemples dans les pays scandinaves où des municipalités accordent un budget annuel à un comité d’enfants qui peut déterminer lui-même comment il veut le dépenser pour des projets qui bénéficient à la communauté.
Les enfants ont le droit de rester des enfants
Quelles sont les difficultés dans la mise en place d’expériences participatives?
Une bonne partie de la capacité participative des enfants dépend du degré de bienveillance des adultes qui les entourent et de la volonté de leur transmettre une information qui soit adaptée à leur âge. Les ingrédients du succès sont donc les ressources en présence, beaucoup de temps et des professionnels formés pour interagir avec des enfants. Dans une procédure judiciaire par exemple, il faut des heures pour que les enfants se sentent impliqués et qu’ils se sentent à l’aise pour poser des questions. Il faut donc que les professionnels soient convaincus que leur participation est un élément important. Le défi est d’arriver progressivement à une société où la participation des enfants représente un état d’esprit social plus qu’une exigence légale. La Suisse a d’ailleurs du retard dans ce domaine. Par exemple, dans des situations de séparation parentale, seuls 10 à 15% des enfants sont aujourd’hui entendus.
Y a-t-il des limites à la participation des plus jeunes?
Oui, il ne faut pas obliger les enfants à participer, même si certains milieux de l’enfance poussent cette participation à l’extrême. Les enfants ont le droit de rester des enfants. La notion de protection devrait également servir de rempart à certaines formes de participation. Au niveau judiciaire par exemple, participer peut entraîner des conséquences difficiles à contrôler. Enfin, le droit des enfants ne doit pas empiéter sur les droits des autres personnes, il n’est pas sacré et ne vient pas avant celui des adultes.
Des inégalités de participation sont-elles à relever?
Il existe en effet des contextes où les enjeux sont extrêmement dramatiques et où les enfants ne sont jamais entendus, comme ceux en situation de handicap, ceux privés de liberté ou encore ceux en situation de migration temporaire… Pour y remédier, il faudrait nommer un ombudsman des enfants. Mais la Suisse reste très frileuse face à cette idée. —
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