«Face aux émotions, la raison ne suffit pas!»
La notion de conflit est quasi indissociable de celle de couple. Mais, pour Nicolas Favez, professeur à l’Unité de psychologie clinique des relations interpersonnelles de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, ce n’est pas tant l’évitement de la dispute que la capacité de la gérer qui permettra aux partenaires d’aller de l’avant. Rencontre.
Le Journal: Quelle est votre définition de la colère?
Nicolas Favez: Je la définirais simplement comme la manifestation extérieure d’une insatisfaction. Elle a généralement une connotation négative, dans le sens où elle donne trop souvent l’image d’une perte de contrôle de ses émotions. Mais d’un point de vue clinique, la colère n’est pas négative en soi, car elle peut permettre d’identifier une insatisfaction de l’un des deux partenaires et d’y travailler.
Comment faire ce travail?
En évitant qu’un conflit ne dégénère en une spirale descendante. Une situation émotionnellement forte a tendance à favoriser les erreurs de communication. Or ce sont elles qui se révèlent être le poison des couples, car elles rendent plus probable la survenue d’une dispute ultérieure, risquant ainsi d’entraîner les partenaires dans un conflit durable.
Quelles sont ces erreurs?
Nous pouvons globalement déterminer quatre grands types d’erreurs de communication lors d’un conflit. La première consiste à glisser d’un reproche factuel («tu ne t’es pas occupé des courses comme promis et, du coup, j’ai dû le faire moi») à un reproche personnel («tu n’es pas fiable»); la deuxième à adopter une attitude défensive envers l’autre («si je ne l’ai pas fait, c’est parce que tu ne sais pas me demander clairement les choses»); la troisième à afficher une attitude de mépris («comment ai-je pu croire que je pourrais attendre quelque chose de toi») et, enfin, la quatrième à se montrer impassible face au reproche (faire comme si l’on n’entendait pas l’autre qui est en train de manifester sa colère). À ce moment, la communication est rompue. Lorsqu’un couple a franchi ces quatre paliers, un retour à l’harmonie s’avère extrêmement difficile…
Dans quel contexte interviennent ces erreurs de communication?
Ces erreurs s’observent fréquemment lorsque les insatisfactions se sont accumulées par un effet de sédimentation, la stratégie visant à éviter les conflits en prenant trop longtemps sur soi. Mais à un moment, une brèche s’ouvre dans le rempart que s’est confectionné l’individu, le trop-plein d’émotions contenues risque alors de balayer la raison et de se déverser d’autant plus violemment. Une attitude exclusive de positivité envers l’autre ne constitue donc pas une garantie contre les conflits et les dérapages qui y sont associés. Elle peut même s’avérer tout à fait contre-productive, s’il y a des insatisfactions qui restent des non-dits.
Ces erreurs de communication sont clairement identifiables et identifiées; les éviter semble même tomber sous le bon sens. Pourquoi est-il donc si compliqué d’aller à leur encontre au quotidien?
Précisément parce que le conflit génère des émotions, et que face à elles, la raison ne suffit pas. Il est difficile d’aller à l’encontre d’un comportement profondément ancré en soi, et pas seulement au niveau émotionnel. Prenez une personne souffrant de trouble obsessionnel compulsif: elle peut tout à la fois être pleinement consciente que son comportement risque de lui coûter son emploi et se révéler dans l’incapacité d’y mettre un terme. C’est pourquoi, en ce qui concerne les couples, les praticiens estiment qu’il faut aborder le problème non pas sous l’angle de l’individu, mais de la relation entre deux individus. Tout d’abord parce que la communication implique une relation, mais aussi parce qu’une insatisfaction de l’un des partenaires lèse, de fait, les deux parties. Ce principe est pertinent dans tous les types de conflits, du couple à la géopolitique, en passant par le monde du travail.
Peut-on traiter tous les conflits?
Oui et non, tout dépend de ce que l’on entend par traitement. Il n’est pas possible de sauver tous les couples qui consultent, mais il est possible de les aider en les guidant vers une séparation moins conflictuelle afin de rester dans les meilleurs termes possible. À cet égard, la pratique a évolué: il ne s’agit plus aujourd’hui de sauver un couple coûte que coûte, mais de faire en sorte que le parcours à venir soit le moins chaotique possible, d’autant plus lorsque des enfants y sont impliqués.
La pratique a évolué. Qu’en est-il de la société?
Le couple n’est plus forcément considéré aujourd’hui comme un aboutissement, mais comme un moyen de réalisation personnelle. Cette exigence du bonheur peut générer de l’impatience et de la frustration: au lieu de travailler son couple, on préfère changer de partenaire. Un bien, un mal? C’est une question morale qui n’est pas de mon ressort. Mais ce qui est sûr, c’est que la tolérance sociale à l’égard du couple a fortement évolué. Le couple traditionnel n’est plus l’unique modèle, il est aujourd’hui beaucoup plus facile de vivre en union libre, d’avoir des enfants hors mariage, de rester mariés tout en vivant séparés ou même de continuer à partager le même toit tout en étant divorcés. Mais si le contexte social a changé, les besoins de base demeurent: amour, affection, sécurité et sexualité. —