Vaut-il mieux être patient que patiente?
La femme n’est pas un homme comme les autres: une évidence que la médecine moderne a mis beaucoup de temps à prendre en compte. Rencontre avec Antoinette Pechère-Bertschi, médecin aux HUG et professeure à la Faculté de médecine, au lendemain d’une table ronde organisée à l’occasion de la Journée mondiale de la santé
Le Journal: La problématique du genre questionne nombre de pratiques considérées jusqu’à récemment comme normales. De la recherche fondamentale à la prise en charge, le domaine de la santé n’échappe pas à ces réflexions. Comment se fait-il que des disciplines scientifiques ayant justement pour sujet le fonctionnement du corps humain n’aient pas pu s’en saisir plus tôt?
Antoinette Pechère-Bertschi: La médecine occidentale moderne est conçue pour traiter un patient type: l’homme blanc d’une quarantaine d’années. La démarche scientifique qui sous-tend cette médecine repose sur l’étude et le suivi d’un grand nombre de sujets mâles. Les femmes en ont été plus ou moins exclues pour diverses raisons plus ou moins bonnes. Après des scandales, comme celui de la thalidomide par exemple, le secteur pharmaceutique a évité d’inclure des femmes dans les essais cliniques, de peur qu’une éventuelle grossesse ne se développe durant l’étude. Il y a aussi la problématique hormonale: les œstrogènes peuvent en effet influencer plus ou moins fortement un traitement. Pour mieux homogénéiser leur échantillon de patients, les chercheurs ont donc tendance à privilégier les sujets mâles, chez le rat comme chez l’humain. Et lorsque des femmes sont incluses dans une étude, elles sont en général noyées dans la masse et aucun volet spécifique, ou une analyse tenant compte de leur sexe ne leur sont accordés. Jusqu’en 2010, il n’y avait pas ou peu de recommandations officielles à ce sujet. Mais un mouvement s’est enclenché depuis les États-Unis et les choses commencent à bouger dans le bon sens, ici aussi. Par exemple, les commissions d’éthique de la recherche demandent une parité homme/femme dans l’inclusion des sujets de recherche.
Qu’en est-il au niveau de la prise en charge, au moment où le personnel médical a devant lui un individu genré?
La situation n’est pas meilleure, et la femme est bien souvent traitée comme un homme en faisant fi de ses spécificités, notamment en termes de dosage médicamenteux et d’effets secondaires. Chez mes patientes, par exemple, j’observe régulièrement que tel ou tel sous-groupe de femmes réagit différemment, ou plus fortement, à un médicament; je peux ainsi diminuer de moitié le dosage et réduire les effets secondaires sans pour autant perdre en efficacité thérapeutique. On peut aussi voir des différences de réponse chez les hommes mais le système hormonal féminin est sujet à de plus nombreuses variations: cycle menstruel, grossesse, allaitement, ménopause. De plus, en dehors des organes sexuels, il existe de réelles différences en termes d’anatomie, notamment au niveau du cœur, et je ne donne pas cet exemple au hasard !
Expliquez-vous!
Si je dis infarctus du myocarde à un médecin, il va s’imaginer un homme de 50 ans, en surpoids, fumeur et stressé par son travail. Pourtant, passé l’âge de 60 ans, cette pathologie touche bien plus de femmes que d’hommes. C’est même actuellement la principale cause de mortalité chez la femme. Malgré cela, si un homme se présente aux urgences en se plaignant de douleurs thoraciques à gauche et d’élancement dans le bras, il sera immédiatement admis en cardiologie. Avec les mêmes symptômes, une femme a par contre bien des chances d’être renvoyée chez elle avec une simple prescription d’antidépresseurs… Tels sont les résultats qui ressortent d’une étude réalisée par la professeure Carole Claire (responsable de l’enseignement Médecine et genre à l’Université de Lausanne, ndlr) au cours de laquelle elle présentait à des étudiants en médecine des vignettes de diagnostic rigoureusement identiques, à l’exception du sexe du patient... Or, ce biais se retrouve tout au long du traitement et du suivi à long terme des patients. Pour couronner le tout, il existe aussi des mythes à la vie dure, comme celui qui prétend que l’angine de poitrine est bénigne chez la femme…
Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser à cette problématique?
Je suis spécialisée dans les domaines de l’hypertension et de la néphrologie. Mon expérience clinique m’a révélé l’ampleur du déficit de connaissances lié à ces pathologies chez la femme. Petit à petit, mon intérêt pour la thématique du genre a dépassé le cadre médical et pour faire évoluer les choses, la chercheuse s’est faite plus militante.
Comment faire des femmes des patientes à part entière?
La solution est simple, elle passe par l’éducation, en intégrant la thématique du genre dans les cursus de formation médicale. Mais cela ne va pas de soi et ce genre de démarche découle bien souvent d’initiatives individuelles qui trouvent un terreau plus ou moins fertile. L’Université de Lausanne a pris la thématique au sérieux sous l’impulsion de Carole Claire et l’a rapidement intégrée dans les études de médecine. Les choses vont moins vite à l’UNIGE, mais des manifestations comme cette table ronde devraient nous permettre de rectifier le tir! —