Changer de comportement face au réchauffement global: c’est possible
La planète brûle et il serait temps que l’être humain commence à paniquer. Ou, au moins, à agir. Mais le paradoxe est là: si la majorité du public pense que le réchauffement climatique est une réalité et qu’il est imputable aux activités humaines, très peu est mis en œuvre, au niveau individuel, pour contribuer à éviter la catastrophe annoncée. Afin d’apporter une explication à cette situation frustrante et de proposer des solutions permettant aux autorités politiques d’y remédier, Tobias Brosch, professeur associé à la Section de psychologie (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation), a réalisé une synthèse de la littérature scientifique consacrée aux éléments qui bloquent l’action citoyenne face aux changements climatiques. Ce travail a été publié sous la forme d’un policy brief par le Geneva Science-Policy Interface (plateforme à laquelle participe l’UNIGE) et présenté au public le 28 janvier. Explications.
Pourquoi l’être humain échoue-t-il à apporter une réponse rapide et concertée au danger posé par le réchauffement climatique?
Tobias Brosch: Le cerveau humain n’est pas optimisé pour reconnaître la menace des changements climatiques. Homo sapiens a évolué de manière à réagir à des dangers immédiats et concrets, qu’il peut percevoir directement. Le réchauffement global, lui, est un phénomène lent, complexe, abstrait et probabiliste. Il en résulte un manque de réponse émotionnelle et morale. En fait, le changement climatique révèle les limites de la capacité de jugement et de prise de décision de l’être humain.
Comment peut-on surmonter ces limites?
Pour changer le comportement des gens, les autorités peuvent actionner une série de leviers psychologiques et jouer sur des aspects moraux, sociaux et d’intérêt personnel liés à l’action climatique. Après avoir épluché plus de 400 études de psychologie, de neurosciences, de sciences affectives et d’économie comportementale, j’ai identifié cinq catégories de barrières qui empêchent l’individu de modifier son comportement et sur lesquelles on peut agir.
Quelles sont-elles?
Le côté trop abstrait des changements climatiques en fait une menace cachée. On ne peut ni les voir, ni les sentir, ni les toucher. Pour y remédier, il faut rendre le phénomène et ses conséquences locaux et immédiats. Nous sommes en train de développer une simulation en réalité virtuelle qui permettra de ressentir l’impact du réchauffement global à Genève.
Quel est cet impact?
Le scénario est basé sur les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les participants pourront expérimenter les changements prévus à l’horizon 2050 ou 2100 dans la qualité de vie, de l’air et de la biodiversité, dans la raréfaction ou la disparition de certains produits de consommation, etc. Il ne faut pas penser que Genève échappera aux conséquences des changements globaux. Dans cette simulation, nous prévoyons aussi la possibilité de voyager dans le temps afin de pouvoir contempler les effets à long terme d’une inaction actuelle.
Qu’en est-il des autres barrières?
Certaines personnes ne voient pas en quoi changer leur comportement leur apporterait un quelconque bénéfice personnel et, par conséquent, ne font rien. Face à une telle position, on peut faire valoir que rouler à vélo, c’est bon pour la santé, que l’économie de partage permet d’enrichir son réseau social, que des personnes célèbres ont embrassé la cause, qu’une belle et grande voiture électrique témoigne d’un statut économique et social élevé, etc.
À l’heure actuelle, agir pour le climat ne fait pas partie des devoirs pour être une bonne personne. Mais cela pourrait le devenir. Les catholiques ont entendu le pape faire de la protection de la planète un devoir religieux.
Est-ce de taille à contrer l’égoïsme humain? En Suisse, un véhicule neuf vendu sur deux est un 4X4 urbain...
C’est vrai et c’est triste. Mais il ne faut pas sous-estimer l’attrait des véhicules électriques, surtout s’ils sont prestigieux. Lorsque sont apparues les voitures hybrides, elles bénéficiaient d’aides à l’achat. Quand ces réductions fiscales ont disparu, à la surprise des économistes, les ventes ont augmenté malgré la hausse du prix. Plus les voitures hybrides étaient chères, plus elles ont attiré de clients.
Vous avez évoqué un manque de réponse morale...
La troisième barrière est en effet morale. À l’heure actuelle, agir pour le climat ne fait pas partie des devoirs pour être une bonne personne. Mais cela pourrait le devenir. Les catholiques, pas nécessairement portés sur cette problématique, ont entendu le pape faire de la protection de la planète un devoir religieux. Sur un autre plan, la honte de prendre l’avion est un phénomène à peine frémissant. Mais il pourrait peut-être prendre le même chemin que la cigarette. En effet, avant, fumer, c’était cool. Maintenant, c’est considéré comme une pratique moralement répréhensible car nuisible à la santé des autres et révélatrice d’un manque d’autocontrôle.
À quoi bon changer son comportement si son voisin prend l’avion toute l’année?
Cette barrière-là est sociale. Le remède à ce fatalisme consiste à communiquer un maximum sur le fait que de nombreuses personnes agissent déjà pour le climat et que cette mobilisation augmente sans cesse. Dans cette catégorie, j’aime bien citer l’exemple du rajout sur la facture d’électricité des ménages d’une ligne indiquant la consommation moyenne du voisinage. Cette simple astuce pousse les gens qui dépassent cette valeur à économiser jusqu’à se trouver au même niveau, voire en dessous.
Et la dernière barrière?
C’est celle d’action et probablement la plus importante. Souvent, les individus ne savent simplement pas quoi faire pour contrer les changements climatiques ou ont l’impression que la tâche est trop importante. Là encore, la communication est primordiale. Elle doit se concentrer sur les actions qui ont le plus d’impact. Éteindre la lumière en sortant de la pièce, c’est bien mais insuffisant. En revanche, renoncer à l’avion, privilégier le vélo, bien isoler sa maison, manger moins de viande sont autant de changements de comportement aux effets perceptibles. Ou encore, lorsqu’une personne est confrontée à un choix, lors d’un achat ou de la signature d’un contrat par exemple, on peut mettre par défaut les options les plus écologiques. Cette manière de faire (le «default nudge») a permis, dans le domaine de l’énergie, de multiplier jusqu’à dix l’achat de courant vert.
Changer le comportement individuel ne représente qu’une partie de la solution. L’arrêt total des émissions de gaz à effet de serre, par exemple, nécessiterait aussi des progrès technologiques considérables ainsi que des mesures intenses au niveau légal, fiscal et économique.
Est-ce que l’on peut mesurer un «effet Greta Thunberg»?
Il n’y a pas d’«effet» au sens scientifique du terme mais on peut observer depuis une année une prise de conscience et une moralisation du thème des changements climatiques ainsi qu’un passage à l’action, en particulier chez les jeunes. Cette évolution est associée aux prises de parole de la jeune activiste suédoise. C’est très bien mais cela ne suffit pas. Les autorités politiques, académiques et internationales doivent désormais se concerter et agir ensemble.
Vos recommandations suffiront-elles à régler le problème du réchauffement?
Non. Changer le comportement individuel ne représente qu’une partie de la solution. Ces recommandations ont l’avantage de ne pas coûter cher et de pouvoir être mises en œuvre relativement facilement, même si je conseille aux autorités de faire appel à des spécialistes. Mais l’arrêt total des émissions de gaz à effet de serre, par exemple, nécessiterait aussi des progrès technologiques considérables ainsi que des mesures intenses au niveau légal, fiscal et économique.
Quel est l’état des connaissances scientifiques sur lesquelles est basé votre «policy brief»?
Elles sont d’un très bon niveau. Bien sûr, il reste encore beaucoup de recherches à mener. Par exemple, nous n’avons pour l’instant que très peu de connaissances concernant le rôle des émotions dans la perception individuelle des changements climatiques et la volonté d’agir. C’est un champ de recherche que nous avons l’intention de développer massivement au sein de notre équipe. Quant à la mise en œuvre concrète des recommandations que j’ai résumées dans le policy brief, une grande partie est basée sur de la recherche de pointe menée en laboratoire. Il faut donc encore évaluer empiriquement l’efficacité de ces mesures dans le monde réel, dans des contextes structurels et de gouvernance spécifiques. —