Former des couples grâce à l’ADN, une science fragile
Certaines applications de rencontre sur Internet cherchent à se démarquer en proposant à leurs membres des partenaires dont la compatibilité serait calculée sur la base de données génétiques et biologiques. Des sociétés comme Pheramor, Instant Chemistry ou encore DigD8 prétendent en effet former les couples les mieux assortis en analysant certains gènes codants pour des récepteurs d’hypothétiques phéromones ou encore pour des hormones comme la sérotonine, la dopamine et l’ocytocine. Ces compagnies surfent à la limite du raisonnable et sur une littérature scientifique fragile, estime Ivan Rodriguez, professeur au Département de génétique et évolution (Faculté des sciences). Lui et Francesco Bianchi-Demicheli, professeur à la Faculté de médecine et spécialiste en médecine sexuelle aux Hôpitaux universitaires de Genève, ont été invités à s’exprimer sur ce sujet dans le magazine Femina du 9 février. Morceaux choisis.
Ivan Rodriguez admet d’abord que la génétique n’est pas absente dans la formation des couples: «C’est un sujet très controversé mais certaines études ont observé chez plusieurs espèces de mammifères, dont l’être humain, que les partenaires paraissent ne pas se mettre ensemble par hasard. Il y aurait une surreprésentation de partenaires possédant, à eux deux, une diversité importante de récepteurs liés au système immunitaire. Une telle caractéristique est théoriquement favorable pour d’éventuels bébés qui seraient ainsi mieux équipés pour affronter les agents pathogènes et les agressions du monde extérieur. Mais il n’existe aucune preuve permettant d’établir un lien direct entre ces deux affirmations.»
Et même si un tel lien existait, comment les individus parviendraient-ils à deviner le «profil immunitaire» de leur partenaire?
Une explication basée sur les phéromones est improbable. Bien qu’avérée chez les animaux, une communication basée sur ces molécules capables d’influencer le comportement d’autrui n’a jamais été démontrée chez les humains. «Un seul groupe de molécules, produit par des glandes sous l’aisselle, a droit au titre de phéromone humaine, note Ivan Rodriguez. Ses composés ont un effet physiologique, comme celui de synchroniser le cycle menstruel des femmes. Mais, à notre connaissance, ni elles ni aucune autre molécule n’induisent de comportement sexuel stéréotypé.»
Pour Francesco Bianchi-Demicheli, le nez pourrait tout de même jouer un rôle. Les odeurs ont en effet un pouvoir discriminant fort et une attirance – ou plutôt une absence de rejet – à ce niveau est nécessaire pour une relation. «L’odeur corporelle, renchérit Ivan Rodriguez, est le produit de millions de bactéries qui colonisent la peau. Or la composition de cette flore pourrait refléter notre diversité de gènes liés au système immunitaire. Une hypothèse possible est que nous soyons capables par l’odorat de détecter inconsciemment le bouquet de récepteurs des individus et de nous orienter préférentiellement vers ceux qui sont complémentaires.»
Ces paramètres biologiques ne pèsent toutefois pas grand-chose dans le processus de séduction en comparaison avec la vision, par exemple, qui est le sens le plus mobilisé dans le comportement sexuel, sans même parler de la dimension culturelle et surtout émotionnelle du désir. D’ailleurs, le seul paramètre qui ait un effet prédictif mesurable sur la formation de couples est le facteur socioéconomique. Tous les sites de rencontres traditionnels le savent, les partenaires qui se mettent ensemble sont en majorité homogames.
Enfin, aucune étude n’a démontré que ces méthodes high-tech étaient efficaces pour former des couples et encore moins des couples stables. Ce qui est en général le but recherché. —