Les Deux Sources de la morale et de la religion est la dernière œuvre d’ampleur du philosophe français Henri Bergson (1859-1941). Et probablement la moins comprise, en dépit du succès qu’elle a rencontré auprès du public au moment de sa parution en 1932, estime le professeur de la Faculté de théologie Ghislain Waterlot, qui lui consacre son dernier livre. Celui-ci propose une lecture de l’ouvrage de Bergson centrée sur l’expérience mystique, telle que la décrit le philosophe, comme clé de compréhension à la fois de la religion et de l’histoire humaine.

Cet intérêt pour la mystique a laissé perplexes aussi bien les théologien-nes que les philosophes contemporain-es de Bergson, relève Ghislain Waterlot. Bergson lui-même aborde cette question avec prudence. Elle n’en reste pas moins capitale, selon le professeur, pour comprendre la pensée de l'auteur. «Aux yeux de Bergson, le mysticisme a fait pivoter l’histoire du monde. Mieux, il a fait que le monde a une histoire. Ce que Bergson veut dire par là, c’est qu’il aurait fait craquer la structure voulue par la nature ou rendue indépassable par les conditions de déploiement de notre espèce sur la planète. Cette structure s’exprime dans l’organisation de la réalité humaine en une myriade de sociétés closes, constamment en lutte entre elles: quand la guerre n’est pas effectivement là, elle attend son heure. Or le mysticisme a introduit dans les sociétés la notion de fraternité humaine, par laquelle les êtres humains reconnaissent que tous communient en un même principe qui les convie à s’aimer les uns les autres, à s’unir dans leur diversité, à faire ensemble une seule et même humanité.»

Là où la biologie nous inciterait à une forme de clôture, l’expérience mystique offre donc une ouverture, par laquelle l’humain peut entretenir une espérance, en dépit des catastrophes de l’histoire, comme celles vécues par la génération d’Henri Bergson, auxquelles font aujourd’hui écho les destructions environnementales et les déséquilibres planétaires.