On sait aujourd’hui que les cétacés peuplant les océans de notre planète sont des animaux sociables et paisibles qui ne représentent en règle générale aucun danger pour l’être humain. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi. Les grands animaux marins que l’on peut regrouper sous le terme générique de baleines ont en effet suscité craintes et fantasmes des siècles durant avant de devenir un objet de connaissance et un motif littéraire à la Renaissance.

C’est l’histoire de ce lent basculement que tente de saisir cet ouvrage signé Adrien Mangili, chercheur au Département de langue et de littérature françaises modernes (Faculté des lettres). Si la baleine a longtemps résisté à l’analyse scientifique, c’est d’abord parce que, évoluant dans les profondeurs de l’océan, elle s’est longtemps dérobée à l’observation. Au XVI^e siècle, les médecins naturalistes qui se penchent sur son cas s’appuient donc essentiellement sur des informations livresques. Aux maigres descriptions léguées par les savants de l’Antiquité s’ajoutent des récits mythologiques ou poétiques ainsi que les textes issus de la tradition chrétienne.

Le portrait qui en découle est celui d’une créature vorace et sournoise, dont Dieu se servirait pour mettre les hommes à l’épreuve, ce dont attestent notamment les mésaventures de Jonas ou la figure du Léviathan mentionnée dans le Livre de Job. Le développement de l’ichtyologie et les progrès de la navigation entraînent toutefois un changement de paradigme permettant à la baleine de quitter progressivement ses habits de monstre imaginaire pour endosser ceux d’un animal décrit de manière aussi conforme que possible à la réalité. Ce qui ne lui évitera pas de faire l’objet de certaines instrumentalisations polémiques. Rabelais s’en emparera ainsi pour mener une satire contre le Saint-Siège, tandis que la rhétorique réformée l’utilisera abondamment pour exprimer allégoriquement la monstruosité de l’Église romaine.