15 juin 2022 - Melina Tiphticoglou
Quand des aurochs et des mammouths trotteront ensemble
Verra-t-on bientôt des mammouths laineux parcourir la steppe arctique? Des moas, ces oiseaux bipèdes disparus il y a cinq siècles, fouleront-ils à nouveau le bush néo-zélandais? Les forêts de Tasmanie retrouveront-elles le thylacine ou loup marsupial après presque cent ans d’absence ? Bien qu’optimistes, ces hypothèses ne sont pas toujours fantaisistes. La désextinction, ou résurrection d’espèces éteintes, mobilise actuellement de nombreuses équipes de recherche à travers le monde, lesquelles recourent à diverses techniques scientifiques, du croisement d’espèces à l’ingénierie génétique. Signé par Nadir Alvarez, professeur titulaire au Département de génétique et évolution de l’UNIGE, et Lionel Cavin, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève, l’ouvrage Faire revivre des espèces disparues? propose un inventaire des avancées scientifiques dans le domaine ainsi qu’une réflexion sur les questions qu’il suscite.
«Les espèces déséteintes pourraient jouer le rôle d’espèces parapluie, de la même manière que le grand panda en Chine, explique Nadir Alvarez. Pour sauvegarder cet animal, on préserve son écosystème et toutes les espèces qui y sont associées en bénéficient. Si on pouvait faire de même avec le mammouth en Sibérie, l’oiseau-éléphant à Madagascar, et toutes les espèces qu’on aimerait déséteindre, de grandes surfaces et les espèces qui les occupent pourraient être protégées.»
Pour les auteurs, la désextinction serait une façon pour l’humanité de réparer quelque peu les dégâts dont elle est responsable. Il y a quelques dizaines de milliers d’années, par exemple, le continent nord-américain était peuplé d’une mégafaune spectaculaire (paresseux géant, ours à face courte, dromadaire, tigre à dents de sabre, mastodonte...) disparue brutalement il y a un peu plus de 10 000 ans. Cette extinction correspond à la fin d’un épisode glaciaire, c’est pourquoi elle était autrefois attribuée aux changements climatiques. Mais l’hypothèse ne suffit pas à tout expliquer. «Longtemps éludée, la responsabilité d’Homo sapiens dans ces disparitions est aujourd’hui acceptée par une majorité de scientifiques, commente Nadir Alvarez. La meilleure preuve en est l’étonnante correspondance entre l’arrivée des humains dans un nouveau territoire et les extinctions rapides d’espèces peu de temps après, et cela, presque partout sur la planète.»
Demeure la question éthique: l’homme peut-il aujourd’hui modifier des génomes pour réparer ses erreurs passées? Pour Nadir Alvarez, la réponse est positive: «L’être humain bricole la nature depuis la nuit des temps. Il a modifié la planète entière. La biomasse des vertébrés terrestres se compose aujourd’hui à 97 % d’humains et d’animaux d’élevage et à 3 % d’animaux sauvages. Il y a 10 000 ans, c’était l’inverse. Est-il cohérent de s’offusquer aujourd’hui du fait que nous modifions des génomes? Si cela peut permettre de créer plus d’espace pour la nature, alors tant mieux.»
Lionel Cavin et Nadir Alvarez
«Faire revivre des espèces disparues?»
Éditions Favre 2022
200 p.
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