10 octobre 2022 - UNIGE

 

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La contribution insoupçonnée des espèces non indigènes

Souvent qualifiées d’invasives, les espèces non indigènes peuvent être bénéfiques pour l’écosystème, à l’instar de certains vers de terre dont l’apport se révèle positif pour l’agriculture biologique. Des scientifiques plaident en faveur d’une réévaluation de ces espèces.

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Espèce non indigène, la truite brune est très appréciée des Néo-Zélandais-es qui ont établi de nouvelles réglementations environnementales pour protéger l’espèce dans leurs eaux. Image: DR


Les effets négatifs de la moule zébrée ou de l’ambroisie, des espèces non indigènes qui ont colonisé nos régions, sont bien connus. Une recherche menée par une équipe de l’Université Brown, aux États-Unis, impliquant aussi des chercheurs/euses de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) et de l’Université de Washington montre que l’apport de ces espèces peut aussi se révéler positif. Ces résultats ont été publiés le 6 octobre dernier dans la revue Trends in Ecology & Evolution. Dans cet article de synthèse, les scientifiques soulignent que la majorité des études portant sur ces espèces se concentrent sur leurs conséquences négatives et elles/ils proposent, afin d’instaurer un débat plus équilibré, de déplacer la focale pour considérer également leurs avantages et bienfaits. «Les impacts positifs des espèces non indigènes sont souvent expliqués comme s’ils surgissaient de manière fortuite, indique Dov Sax, professeur à l’Université Brown. Notre étude soutient que les impacts positifs des espèces non indigènes ne sont ni inattendus ni rares, mais au contraire communs, importants et souvent de grande ampleur.»


Bons pour l’humain et la nature

L’étude emprunte un cadre récemment développé par IPBES, une plateforme internationale pour l’évaluation de la biodiversité et de ses services écosystémiques, et l’applique aux espèces non indigènes, démontrant les formes diverses, fréquentes et importantes de leur apport positif. «Nous voulons fournir un cadre permettant aux scientifiques d’envisager ces espèces de manière constructive et de documenter explicitement leurs avantages, explique le chercheur. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous serons en mesure de les comparer et de les opposer de manière précise et complète afin de réaliser des analyses de type coûts/bénéfices, utiles pour prendre des décisions politiques.» Les auteurs/trices reconnaissent que certaines espèces non indigènes, comme les agents pathogènes et les parasites agricoles, entraînent des coûts nets élevés. Mais ils et elles notent que la plupart des espèces domestiquées – y compris les aliments comme le blé et les tomates, les fibres comme le coton et la laine, les animaux de compagnie comme les chiens et les poissons rouges – apportent de grands avantages nets aux sociétés humaines. Les scientifiques ont axé leur examen sur les espèces qui ne sont pas directement gérées par l’être humain – les espèces dites sauvages ou naturalisées – en notant que nombre d’entre elles présentent simultanément des inconvénients et des avantages.

La force du ver de terre

L’étude cite les vers de terre comme un exemple d’espèce non indigène dont les avantages sont sous-estimés. S’ils peuvent modifier de manière négative les écosystèmes forestiers, ils peuvent également améliorer l’agriculture biologique. Une méta-analyse a en effet montré que leur présence pouvait entraîner une augmentation de 25% de la productivité agricole. La diminution du coût des aliments qui en résulte et la capacité accrue à nourrir les gens constituent un avantage économique direct. L’étude met également en avant les bienfaits inattendus d’une autre espèce non indigène, la truite brune en Nouvelle-Zélande. Les résident-es en apprécient tellement les bénéfices nutritionnels ainsi que récréatifs liés à sa pêche qu’elles et ils ont établi de nouvelles réglementations environnementales pour protéger l’espèce. «Le cadre que nous posons fournit une topologie utile pour considérer les diverses façons dont les espèces non indigènes fournissent une valeur et nous l’utilisons ici pour illustrer des exemples représentatifs, mais non exhaustifs, de ces valeurs provenant de divers écosystèmes et régions», indique Martin Schlaepfer, chargé de cours à l’ISE.

Un nouveau cadre de pensée

L’étude préconise d’utiliser le cadre IPBES pour l’appliquer aux espèces non indigènes. «La relation que les gens entretiennent avec la nature, sa valeur intrinsèque, les services écosystémiques et l’approvisionnement en ressources sont autant d’éléments que nous apprécions chez les espèces indigènes, explique Martin Schlaepfer. Il existe également des moyens de voir que les espèces non indigènes contribuent à ces avantages.» Par exemple, si elles peuvent être une cause majeure d’extinction d’espèces, elles peuvent aussi contribuer, par leur propre migration, à la biodiversité régionale en augmentant la richesse spécifique. Les espèces de moules introduites dans les lacs suisses par exemple peuvent altérer les nutriments disponibles tout en augmentant la clarté de l’eau. «Nous soutenons que les préjugés de longue date contre les espèces non indigènes dans la littérature ont obscurci le processus scientifique mais aussi entravé les avancées politiques et la bonne compréhension du public, termine Martin Schlaepfer. Les recherches futures devraient tenir compte à la fois des inconvénients engendrés par les espèces non indigènes et leurs avantages.»

 

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