1er novembre 2023 - UNIGE

 

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À l’ombre des palétuviers de Gambie

Une expédition scientifique a remonté le cours du fleuve Gambie à bord d’un voilier afin d’étudier l’état de santé de la mangrove, menacée par les changements climatiques. Un documentaire retraçant cette aventure sera projeté le 6 novembre à Sciences II.

 

 

Janvier 2023. Le voilier de 30 mètres Mauritius s’aventure au cœur des forêts de mangrove qui longent le fleuve Gambie. À bord, des scientifiques d’horizons divers, des étudiant-es et des marins, réuni-es pour accomplir une mission: mieux comprendre les forêts et les transformations qu’elles peuvent subir à cause du changement climatique. L’enjeu est important. Les mangroves ne profitent pas seulement à la flore et à la faune, elles constituent une source de revenus pour les populations locales et une protection naturelle contre l’érosion et les tempêtes. Le documentaire Sailing for Mangroves, a scientific expedition in Gambia retrace les aventures et les défis rencontrés par l’expédition. Il est à découvrir lundi 6 novembre à Sciences II et sera suivi d’une table ronde, en anglais, avec des membres de l’équipage.


C’est à bord du Mauritius, une goélette de 30 mètres en acier, que Daniel McGinnis, professeur à l’Institut F.-A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau (Faculté des sciences), et ses coéquipiers/ères ont quitté le port de Banjul, la capitale de la Gambie, pour remonter le majestueux cours d’eau qui traverse le pays. Durant une semaine, poussé par le vent – et parfois par le moteur –, le deux-mâts appartenant à la Fondation Pacifique a convoyé ce groupe d’une vingtaine de personnes pour étudier un des écosystèmes les plus riches en biodiversité qui se trouve aujourd’hui menacé par les changements climatiques et les activités humaines. «On sait très peu de choses sur l’état de santé de la mangrove de Gambie qui borde les rives du fleuve, expose Daniel McGinnis. Il n’y a quasiment jamais eu d’études ni de programmes de protection concernant cet environnement qui joue pourtant un rôle crucial. C’est pourquoi l’objectif de notre expédition consiste à construire une base de données scientifiques qui permettra la réalisation d’analyses et d’études indispensables à sa sauvegarde.»

 

Recherche et éducation

Expert en zooplancton, le professeur Kam Tang (Université de Swansea, Royaume-Uni) est l’un des instigateurs de l’expédition. Il en a eu l’idée avec son ancienne étudiante, Maiyai Hocheimy. Spécialiste en écologie marine, cette dernière a fondé le Great Institute, dédié à la recherche et à l’éducation sur les écosystèmes marins, d’eau douce et côtiers de Gambie. Les deux scientifiques collaborent depuis des années et c’est dans le but de concrétiser leur plan qu’ils font appel à Daniel McGinnis. À trois, ils montent un projet d’expédition le long de la Gambie alliant recherche et éducation et embarquent à la mi-janvier sur le Mauritius depuis le port de Banjul, accompagnés d’Asma Chafter, une étudiante en master de l’UNIGE, d’une conseillère humanitaire chargée de faciliter les relations avec les populations locales, et d’une demi-douzaine d’étudiant-es, venu-es de différentes parties de la Gambie et même du Sénégal. «La semaine avant de mettre les voiles, nous avons formé une vingtaine d’étudiant-es de l’Université de Gambie, précise Daniel McGinnis. Nous leur avons donné des cours sur certains thèmes des sciences de l’environnement, comme le cycle global du carbone, l’écologie des mangroves, etc. J’ai été frappé par leur enthousiasme. Malgré les conditions difficiles de leur vie quotidienne, les Gambiens et les Gambiennes sont d’un optimisme remarquable. Et ils l’assument: ils qualifient leur propre pays de Smiling Coast, la côte souriante. Malheureusement, à la fin de la semaine, ne pouvant pas tous les embarquer, nous avons dû en sélectionner sept pour nous accompagner sur le bateau.»

 

Labyrinthe vert

Une fois les amarres larguées, le pont du bateau se transforme en plateforme d’enseignement et de recherche. Les étudiant-es sont initié-es aux méthodes de mesure de la qualité de l’eau et des gaz à effet de serre, aux prélèvements d’échantillons d’eau et de sédiments et à leur analyse au microscope pour identifier les espèces d’algues et de zooplancton. «Les palétuviers intéressent beaucoup les climatologues parce que leurs racines sont particulièrement efficaces dans la capture du gaz carbonique de l’atmosphère, explique Daniel McGinnis. Ces arbres préviennent aussi l’érosion et protègent contre la hausse des niveaux des mers ainsi que les vagues et les tempêtes qui lui sont associées. Le problème, c’est que la mangrove a tendance à disparaître. On suspecte qu’une des causes de ce recul, en plus de la pollution générée par l’industrie et l’agriculture, est l’augmentation de la salinité de l’eau, elle-même une conséquence des changements climatiques.» À ce bouleversement global s’ajoute la menace, plus régionale, de la construction d’une nouvelle centrale hydroélectrique à Sambangalou, au Sénégal, à plusieurs centaines de kilomètres en amont du fleuve près de la frontière avec la Guinée. L’impact de ce futur barrage sur l’équilibre écologique de la mangrove reste une inconnue. Les trois scientifiques, qui prévoient de répéter leurs mesures deux fois par an, comptent néanmoins suivre de près l’évolution de la qualité de l’eau.

 

Récolte d’huîtres

À quelques occasions, les étudiant-es sont envoyés au contact de la population des villages côtiers pour l’interroger sur sa perception des changements affectant son environnement durant la dernière décennie et des défis qu’elle imagine pour le futur concernant ses activités. Les témoignages récoltés évoquent entre autres des modifications dans les populations piscicoles, une augmentation du taux de salinité de l’eau ou encore le recul de la mangrove. Cette dernière est une ressource importante pour les communautés locales. Certaines femmes des villages alentour viennent notamment vers le fleuve pour cueillir les huîtres qui se développent sur les racines des palétuviers. Les ostréicultrices se plaignent toutefois d’éruptions cutanées apparaissant depuis quelques années sur leurs mains. Une sorte d’allergie dont la cause est inconnue pour l’instant – l’analyse des sédiments pourrait apporter des éléments de réponse en cas de détection d’un polluant dans les couches les plus récentes.

L’autre problème que rencontrent ces femmes, c’est que si la mangrove leur fournit leur gagne-pain, leur technique traditionnelle de pêche contribue à la détruire puisqu’elles coupent les racines des palétuviers avec des machettes pour récolter les huîtres. Depuis quelques années, sensibilisées sur la question, elles commencent à adopter des méthodes alternatives telles que l’utilisation de structures en bambou immergées près des racines sur lesquelles elles élèvent les huîtres.

Après six jours de navigation fluviale, le Mauritius se retrouve à Banjul, débarquant l’équipage sur les quais de la capitale. Mais rendez-vous est déjà pris l’année prochaine, même endroit, même mission, mais à bord de l’autre voilier de la Fondation Pacifique, Fleur de passion, dont le pont, plus grand, est mieux adapté à ce genre d’entreprise.

Lire l’intégralité de l’article dans le magazine Campus n°153

SAILING FOR MANGROVES

Projection et table ronde avec Daniel F. McGinnis, professeur à l’Institut F.-A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau (UNIGE), Maiyai Taal Hocheimy, fondatrice et directrice du Great Institute, Gambie, Kam Tang, professeur à l’Université de Swansea, Royaume-Uni, Pietro Godenzi, président de la Fondation Pacifique, Genève, et Muhammed Nyass, assistant au Great Institute et étudiant à l’Université de Gambie.

Événement en anglais.

Lundi 6 novembre 2023 | 18h | Sciences II, A300

 

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