La modélisation informatique est un instrument clé de la transition énergétique, permettant de mesurer les effets, à plus ou moins long terme, des stratégies ambitionnant d’atténuer le changement climatique. Disposer d’outils de projection fiables est devenu d’autant plus nécessaire que de nombreux pays, dont la Suisse, visent la neutralité carbone d’ici à 2050. Or, les modèles disponibles pour aiguiller les décisions politiques présentent certaines limites. Ils n’incluent pas, ou pas assez, l’incertitude et induisent souvent un excès de confiance. Leur résolution spatiale est également trop basse pour accompagner la prise de décision au niveau local. Enfin, pour un même territoire, leurs projections peuvent différer significativement.
Se projeter localement
Pour y remédier, les scientifiques du groupe Systèmes d’énergies renouvelables ont mis au point un modèle dit probabiliste. Plutôt que de pointer un résultat particulier comme étant la prévision définitive – le propre des modèles déterministes –, ce nouveau modèle génère des projections contenant un ensemble de probabilités associées à un large éventail de résultats futurs possibles. Il permet également de déterminer quel modèle existant est le plus pertinent pour une commune ou une région définie. «Ce modèle a été conçu pour générer, en particulier, des projections sur la diffusion à l’échelle municipale de trois technologies énergétiques: le photovoltaïque, les pompes à chaleur et les véhicules électriques, explique Nik Zielonka, doctorant et premier auteur de l’étude. Il est alimenté par les données disponibles pour chaque commune et combine 12 modèles existants, tout en les testant.»
Testé dans toutes les municipalités suisses
Pour éprouver leur modèle, les chercheurs/euses ont choisi la Suisse (2148 communes), car les données sur la diffusion locale des technologies énergétiques concernées y sont précises et facilement accessibles. Sur la base de ces chiffres, couvrant la période de 2000 à 2021, les scientifiques ont généré des projections du niveau de développement des trois technologies à l’horizon 2050, pour chaque commune. Ces projections, réalisées à l’aide d’un superordinateur, permettent aujourd’hui à chaque municipalité de mesurer l’écart entre leurs objectifs et la réalité modélisée.
Les chercheurs/euses ont notamment fait l’exercice avec la ville de Thoune (43’000 habitant-es), dont les objectifs énergétiques sont clairement chiffrés. Pour atteindre la neutralité carbone, les autorités misent sur une production d’énergie photovoltaïque de plus de 120 MW en 2050 (moins de 20 MW actuellement) et sur la mise en circulation de 12’000 véhicules électriques (environ 500 actuellement). Or, selon le modèle de l’UNIGE, si Thoune poursuit sur sa lancée actuelle, il est probable qu’elle n’atteigne que 90 MW d’énergie photovoltaïque et moins de 8000 véhicules électriques en 2050.
L’horizon 2050 peu réaliste
«En observant l’ensemble de nos résultats, il semble très peu probable que la Suisse, sans changement de politique, atteigne le zéro émission nette de carbone d’ici à 2050, indique la professeure Evelina Trutnevyte qui a dirigé ces travaux. Du moins en ce qui concerne les niveaux nécessaires d’énergie solaire photovoltaïque, de pompes à chaleur et de véhicules électriques. La Suisse devra intensifier ses efforts et le récent Mantelerlassou Acte modificateur uniqueest un premier pas dans la bonne direction.» Les projections obtenues pour chaque commune dans le cadre de cette étude peuvent être consultées en libre accès et sont mises à jour avec les données les plus récentes. La prochaine étape consistera à étendre le modèle à d’autres pays d’Europe, puis il faudra inclure un plus grand nombre de technologies énergétiques et combiner davantage de modèles existants.