19 octobre 2023 - UNIGE

 

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La fonction du rêve n’est pas la même pour tous

La comparaison entre les rêves de populations non occidentales et occidentales montre que les premiers sont plus menaçants, cathartiques et socialement orientés que les autres.

 

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Il existe un lien fort entre notre vie socioculturelle et la fonction du rêve. Image: Adobe Stock

 

Quand on est Tanzanien-ne ou Européen-ne, on ne rêve pas de la même façon. Ou plutôt, les rêves n’ont pas exactement la même fonction. C’est ce qu’a montré une étude parue le 2 octobre dans Scientific Reports et dirigée par Lampros Perogamvros, privat-docent et chef de groupe de recherche aux départements de psychiatrie et des neurosciences fondamentales (Faculté de médecine) et médecin adjoint agrégé au Centre de médecine du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève. En comparant les rêves de membres de deux communautés d’agriculteurs-cueilleurs (en Tanzanie et en République démocratique du Congo) avec ceux d’individus vivant en Europe et en Amérique du Nord, ces travaux mettent en évidence le fait que les deux premiers groupes produisent davantage de rêves plus menaçants, mais aussi cathartiques et socialement orientés que les seconds.

 

Le rêve est une expérience hallucinatoire commune à tous les êtres humains. Il se produit le plus souvent lors de la phase paradoxale du sommeil, appelée phase de «mouvement oculaire rapide» ou «REM» (rapid eye movement). Il peut toutefois survenir à tous les stades du sommeil. Des théories récentes suggèrent que pendant qu’il rêve, l’individu simule des situations menaçantes et/ou sociales, ce qui aurait un avantage évolutionnaire en promouvant des comportements adaptés dans des situations réelles.
Pour en savoir plus, Lampros Perogamvros et son équipe ont comparé le contenu des rêves des Bayaka en République démocratique du Congo et des Hadza en Tanzanie – deux peuples au mode de vie proche de celui de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs – avec celui de différents groupes d’individus vivant en Europe et en Amérique du Nord (Suisse, Belgique, Canada) et comprenant des sujets sains ainsi que des personnes avec des troubles psychiques. Pour les Bayaka et les Hadza, les récits de rêves ont été collectés durant deux mois sur le terrain par des anthropologues de l’Université de Toronto. Les données sur les rêves des groupes occidentaux provenaient d’études passées, publiées entre 2014 et 2022.
Il en ressort que les scénarios des rêves des Bayaka et des Hadza sont très dynamiques. Ils commencent souvent par une situation de danger, dans laquelle leur vie est en péril, mais finissent par mettre en scène un moyen de faire face à cette menace ou ou de l’écarter, contrairement aux scénarios des groupes occidentaux observés.
Chez les patient-es occidentaux/ales qui souffrent de cauchemars ou d’anxiété sociale, les rêves sont également intenses mais ne contiennent pas de résolution émotionnelle cathartique. Dans ces derniers groupes, la fonction adaptative du rêve semble être déficitaire.

 

Percuté par un buffle
Parmi les ressources dont les indigènes disposent pour affronter une menace dans leurs rêves, les scientifiques ont observé que celles liées au soutien social étaient très fréquentes. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un-e indigène rapporte un rêve dans lequel il/elle est percuté-e en pleine brousse par un buffle, avant d’être secouru-e par un membre de sa communauté. Ou lorsqu’un-e autre rêve qu’il/elle tombe dans un puits et qu’un-e de ses ami-es l’aide à en sortir. Ces rêves contiennent, en eux-mêmes, leur résolution émotionnelle.
Chez les Bayaka et les Hadza, les liens sociaux sont par nécessité très forts, estiment les auteur-es. Par rapport aux sociétés plus individualistes d’Europe et d’Amérique du Nord, la vie quotidienne et la division du travail sont généralement plus égalitaires. C’est sur la base de ce type de liens que ces communautés traitent le contenu émotionnel associé à la menace dans leurs rêves. En fait, ces relations sont des outils émotionnels utilisés pour traiter les défis de la vie. L’équipe de recherche suggère ainsi qu’il existe une relation étroite entre la fonction des rêves et les normes et valeurs de chaque société spécifique étudiée.
«Il est toutefois difficile de déduire des liens causaux entre les rêves et le fonctionnement diurne dans cette étude, nuance Lampros Perogamvros. Il ne faut pas non plus conclure que les rêves dans les groupes d’individus occidentaux ne revêtent aucune fonction émotionnelle.» En effet, la même équipe de recherche avait publié en 2019 dans Human Brain Mapping une étude démontrant que les «mauvais rêves» chez les individus occidentaux, soit les rêves à contenu négatif sans être des cauchemars, sont souvent des simulations de leurs peurs qui les préparent à se confronter à celles-ci, une fois éveillés. Il semble donc que plusieurs types de rêve «fonctionnel» puissent être répertoriés et que, comme le montre la présente étude, il existe un lien fort entre notre vie socioculturelle et la fonction du rêve.

 

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