14 septembre 2023 - Anton Vos

 

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Une plateforme traque l’extraction du sable marin

L’industrie du dragage marin déterre 6 milliards de tonnes de sable par an, soit l’équivalent de plus d’un million de camions par jour. Un phénomène qui a un impact significatif sur la biodiversité et les communautés habitant les côtes.

 

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Une drague, après avoir aspiré les sédiments des fonds marins, vide l'eau boueuse contenue dans ses cales, troublant la mer. Image: AdobeStock

 

Présentée au public le 6 septembre dernier, une nouvelle plateforme de données accessible par Internet, Marine Sand Watch, permet de suivre, en naviguant sur le globe terrestre, les activités de dragage de sable, d’argile, de limon, de gravier et de roche dans toutes les mers du monde, y compris dans les points chauds de ce secteur que sont la mer du Nord, l’Asie du Sud-Est et la côte est des États-Unis. Développée par GRID-Genève, un centre d’analyse du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en partenariat avec l’Université de Genève et l’Office fédéral de l’environnement, cet outil très complet allie le système d’identification automatique des navires et l’intelligence artificielle pour identifier les opérations des navires de dragage. En sélectionnant les bons paramètres, il est ainsi possible d’obtenir des informations sur les concessions allouées à l’extraction de sable, sur les zones de dragage, sur les ports et les centres de commerce de cette ressource, sur le nombre de navires et d’opérateurs, sur le prélèvement de sédiments et sur bien d’autres types d’activités (entretien des chenaux, projets d’agrandissement des terres sur la mer) menées par les États dans leurs zones économiques exclusives. Marine Sand Watch ne peut toutefois pas encore détecter l’exploitation minière artisanale et à très petite échelle le long des côtes peu profondes, bien que cette activité soit intense dans certaines régions.

«Entre 4 et 8 milliards de tonnes de sable et d’autres sédiments sont dragués chaque année rien que dans l’environnement marin et côtier», estime Pascal Peduzzi, professeur titulaire au Département F.-A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau (Faculté des sciences) et directeur du GRID-Genève. «Marine Sand Watch, dont les données couvrent (pour l’instant) les années 2012 à 2019, montre que le taux de dragage augmente continuellement au point d’approcher celui de la reconstitution naturelle. Les rivières du monde amènent 10 à 16 milliards de tonnes de sable par an dans les océans, ce qui permet de maintenir la structure et la fonction des écosystèmes marins et côtiers. Dans certaines régions, l’extraction en mer dépasse déjà largement ce qui arrive par les rivières. Et c’est préoccupant.»

Le sable et le gravier retirés des eaux sont essentiellement employés dans le secteur de la construction. Ils servent également à créer des remblais pour gagner du terrain sur la mer, à rengraisser régulièrement des plages touchées par l’érosion et/ou l’élévation du niveau des mers ou à en aménager de nouvelles. Au niveau global, le sable et le gravier sont, après l’eau, les principales ressources naturelles utilisées par l’humain.

Conséquences néfastes
Le problème, c’est que l’exploitation intensive du sable a de nombreuses conséquences néfastes. D’une part, elle constitue une menace pour les sociétés vivant sur les côtes. En effet, le sable marin s’avère notamment indispensable pour l’édification de défenses côtières face à l’élévation du niveau de la mer et à la multiplication des tempêtes dues au réchauffement climatique. Il est également nécessaire pour le soutien d’infrastructures énergétiques en mer telles que les éoliennes ou hydroliennes (qui fonctionnent grâce aux marées).

D’autre part, l’extraction de sable, qui est une opération assez brutale menée avec des aspirateurs géants avalant tout sur leur passage, menace des écosystèmes entiers, provoque un changement de la turbidité de l’eau et dans la disponibilité des nutriments. Elle produit en outre une pollution sonore très nuisible notamment pour les mammifères marins. À cela s’ajoute le fait que l’extraction côtière ou proche du rivage peut avoir une incidence sur la salinisation des aquifères.

Pratiques variables
Les pratiques internationales et les cadres réglementaires en la matière varient considérablement d’un pays à l’autre. Certains – dont la Thaïlande, la Malaisie, le Vietnam et le Cambodge – ont, dans les vingt dernières années, interdit l’exportation de sable marin (l’Indonésie vient de la réinstaurer il y a deux mois), tandis que d’autres ne disposent d’aucune législation ni d’aucun programme de surveillance efficace.

Dans son rapport 2022 sur le sable et la durabilité (lire l’article ici), le PNUE en appelle à une meilleure surveillance de l’extraction et de l’utilisation du sable. Le rapport propose d’établir une norme internationale sur son extraction dans l’environnement marin et recommande d’ores et déjà de mettre fin aux prélèvements sur les plages et entre la plage et le rivage.

«Nos données montrent qu’il est urgent de mieux gérer les ressources en sable marin et de réduire les impacts de l’exploitation minière en eaux peu profondes», explique Pascal Peduzzi. Le PNUE invite d’ailleurs toutes les parties prenantes, les États membres aussi bien que le secteur du dragage, à considérer le sable comme un matériau stratégique et à engager rapidement des discussions sur la manière d’améliorer les normes de son exploitation dans le monde entier.

Dans un avenir proche, le PNUE/GRID-Genève prévoit d’affiner les données et de développer une nouvelle version de la plateforme afin de pouvoir passer à une surveillance en temps quasi réel, d’améliorer la capacité de détection en se rapprochant de 100% des navires de dragage et de mieux différencier les classes de navires et les activités connexes.

 

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