24 septembre 2024 - Anton Vos

 

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Romuald, une vie sans VIH

«Le patient de Genève» est considéré comme probablement guéri du sida à la suite d’une greffe de moelle osseuse. Cela fait bientôt trois ans qu’il a stoppé son traitement anti-VIH et que le virus demeure indétectable. Les scientifiques s’interrogent.

 

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Romuald, dit le «patient de Genève». Image: DR

 

Romuald, plus connu comme «le patient de Genève», est la septième personne au monde ayant «probablement» guéri du sida à la suite d’une greffe de la moelle osseuse pour soigner un cancer du sang; et la première pour qui l’intervention de la fameuse mutation génétique CCR5-Δ32, qui offre une protection naturelle contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), n’a pas été nécessaire. Son cas, pour l’explication duquel les scientifiques n’ont encore que des hypothèses, fait enfin l’objet d’une publication prestigieuse. Il est présenté dans un article de Nature Medicine, paru le 2 septembre et dont l’une des principaux auteurs et autrices est Alexandra Calmy, responsable de l’unité VIH aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), directrice du Centre de recherche clinique et vice-doyenne de la Faculté de médecine, qui a suivi de près la situation de Romuald depuis 2018.

 

 

Le cas du «patient de Genève» est porteur d’espoir car il n’existe toujours pas de traitement définitif du VIH, un virus qui tue encore plus de 600’000 personnes par an dans le monde. Les traitements actuels, agissant à différents stades de la réplication du virus, sont très efficaces. Au point que les patients et les patientes traitées de la sorte peuvent voir leur virémie descendre si bas qu’elle en devient indétectable. Ces individus ne sont d’ailleurs plus considérés comme contagieux. Mais ils ne sont pas guéris pour autant. En effet, les traitements ne parviennent pas à détruire les derniers retranchements du VIH, en raison d’un réservoir viral dans lequel les agents pathogènes peuvent, en cas d’arrêt des remèdes antirétroviraux, se multiplier de nouveau avant de repartir à l’assaut de l’organisme.

Résistance naturelle
Dans les années 1990, les scientifiques rapportent les premiers rares cas de personnes naturellement résistantes à l’infection au VIH malgré des comportements à haut risque. La cause est découverte en 1996. Il s’agit d’une mutation du gène du corécepteur CCR5, une molécule présente à la surface des cellules cibles du VIH. Cette altération, appelée CCR5-Δ32, a pour résultat d’empêcher le virus d’entrer dans leurs hôtes et donc de s’y répliquer.
Une équipe de scientifiques conçoit alors l’idée d’exploiter ce mécanisme dans une thérapie génique, en l’occurrence sur un patient à la fois séropositif et atteint d’une leucémie. Ce cas particulier leur permet de pratiquer sur le malade une greffe de moelle osseuse visant à soigner le cancer du sang tout en utilisant des cellules souches prélevées sur un donneur porteur du gène CCR5-Δ32, afin de transmettre en même temps une résistance au VIH. Rendue publique en 1998, l’expérience est un succès. «Le patient de Berlin», premier du genre, guérit de la leucémie et du sida.
La greffe de moelle osseuse est cependant une opération lourde qui comporte trop de risques pour imaginer la pratiquer sur toutes les personnes séropositives (près de 40 millions de personnes vivaient avec le VIH en 2023). En tout, seulement sept patients dans le monde (deux de Berlin, un de Londres, un de Düsseldorf, un de
New York, un de City of Hope et un de Genève) sont aujourd’hui considérés comme «probablement» guéris de l’infection par le VIH à la suite d’une greffe de moelle osseuse. Le sixième de cette liste, le Genevois Romuald, est cependant le seul à ne pas avoir reçu le double gène CCR5-Δ32 lors de l’opération.

Diminution puis rebond
En règle générale, les personnes vivant avec le VIH, même après une greffe de moelle en raison d’un cancer du sang, n’interrompent pas leur traitement antirétroviral. Les quelques personnes qui l’ont quand même fait présentent certes une virémie indétectable après l’arrêt du traitement, mais cette phase est suivie par un rebond systématique dans les semaines ou mois qui suivent.
Romuald est donc le premier chez qui les choses se déroulent autrement. Raison pour laquelle il intéresse tant les scientifiques. Et les médias. Car ce Franco-Suisse, quinquagénaire haut en couleur, ancien chanteur et mannequin, toujours chaussé de lunettes de soleil (il est malvoyant à la suite d’un décollement de rétine survenu en 1993, sans aucun lien avec le VIH), a décidé en juillet 2023 de sortir de l’anonymat et de raconter son histoire au grand public pour servir la cause de la lutte contre le sida.
Comme il le raconte au fil des interviews, Romuald découvre qu’il est séropositif à 18 ans, à une époque où la maladie est encore très souvent synonyme de mort. Il tient néanmoins le coup et bénéficie d’un traitement antirétroviral entièrement efficace dès 2005, ce qui lui sauve la vie. En 2018, nouveau coup du sort, on lui diagnostique une leucémie particulièrement agressive.
Il vit alors la pire période de sa vie. Comme il l’explique dans un entretien paru dans Aides, il subit d’abord une chimiothérapie et une radiothérapie intenses. «J’ai passé trois mois en chambre stérile dans un endroit que je ne connaissais pas, se souvient-il. Comme je ne vois quasiment plus, je me suis retrouvé dans cette chambre, tout seul, comme dans une bulle. C’était vraiment dur et parfois je me dis que si on m’avait prévenu de la lourdeur des traitements, je ne me serais peut-être pas lancé dans la bagarre. Je suis content d’être guéri de cette leucémie, bien sûr, mais cela reste un combat de tous les jours. Je continue à prendre un traitement préventif avec des effets indésirables lourds.»

Grand remplacement
Pour soigner sa leucémie, on lui programme une greffe de moelle osseuse. Un mois après l’opération, des analyses montrent un remplacement complet des cellules sanguines de Romuald par celles du donneur, accompagné d’une chute drastique des cellules porteuses du VIH, bien que le donneur ne soit pas porteur de la double mutation CCR5-Δ32. Le virus devient littéralement indétectable, même avec les techniques les plus sensibles. «Il se passe quelque chose», lui disent les médecins.
En novembre 2021, en accord avec le patient et ses médecins traitant-es, le traitement antirétroviral est stoppé. Et le virus ne réapparaît toujours pas. Au bout de vingt mois, «le patient de Genève» est considéré comme un cas de rémission de l’infection par le VIH, même si les preuves accumulées n’excluent pas totalement que le virus subsiste dans les derniers recoins de son organisme. Par ailleurs, des tests en laboratoire révèlent que ses cellules ne sont pas immunisées contre le VIH. En d’autres termes, Romuald pourrait théoriquement être réinfecté…
Son cas est présenté à la conférence internationale sur le sida qui se tient en juillet 2023 à Brisbane, en Australie, par Alexandra Calmy et Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur à Paris. Et il fait finalement l’objet d’un article dans la revue Nature Medicine.
Pour expliquer cette guérison pas comme les autres, les scientifiques avancent plusieurs hypothèses. Selon l’une d’elles, il est possible que le traitement immunomodulateur que reçoit le patient à la suite de sa greffe contribue à éviter la réactivation virale. Une autre (non exclusive) semble indiquer que les cellules du système immunitaire provenant du donneur ont purgé les cellules porteuses du VIH de manière plus efficace que dans les autres cas rapportés dans la littérature scientifique. Deux pistes qui ouvrent de nouvelles perspectives de recherches pour le développement d’un nouveau traitement contre le VIH.

 

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