31 octobre 2024 - Anton Vos

 

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Les maîtres d’œuvre de la mise en œuvre

L’Université de Genève accueille pour la première fois en Suisse romande une conférence sur les sciences de l’implémentation, c’est-à-dire l’étude des méthodes visant à intégrer les résultats de la recherche dans la pratique des soins de santé.

 

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Marie Paule Schneider Voirol, professeure associée à la Section des sciences pharmaceutiques (Faculté des sciences). Image: Olivier Zimmermann

 

C’est bien beau de développer de nouvelles stratégies de soins, de réfléchir à une meilleure prise en charge des malades, de trouver des solutions pour améliorer l’adhésion thérapeutique des patientes et des patients. Mais encore faut-il mettre ces mesures en œuvre. Faire passer ces innovations du stade de projet scientifique à celui d’action concrète et adoptée sur le terrain, tel est le propos d’une discipline scientifique émergente en Europe: les sciences de l’implémentation (anglicisme pour «mise en œuvre» qui s’est imposé en français). Genève accueille d’ailleurs les 7 et 8 novembre la première conférence «en présentiel» de cette discipline sur le thème de «la valeur des sciences de l’implémentation dans le domaine de la santé et des soins sociaux». L’événement est organisé par Marie Paule Schneider Voirol, professeure associée à la Section des sciences pharmaceutiques (Faculté des sciences), pour le compte de la plateforme interdisciplinaire Impact, le réseau suisse des sciences de l’implémentation fondé en 2019 et dont l’UNIGE est membre. Éclaircissements.

 

 

Le Journal de l’UNIGE: Que sont les sciences de l’implémentation?
Marie Paule Schneider Voirol: Il s’agit d’une discipline venue d’outre-Atlantique qui s’installe depuis quelques années en Europe et en particulier en Suisse romande. Elle est née du constat qu’il est très difficile de changer le système de santé ou le système social d’un État. Et ce n’est pas par manque d’idées. De nombreuses recherches s’intéressent en effet à des interventions possibles pour en améliorer certains aspects ou en modifier d’autres. Mais ces propositions de changement prennent beaucoup de temps avant d’atteindre le terrain et, la plupart du temps, elles restent à l’état de projets. On estime ainsi à moins de 15% la proportion de recherches probantes dans ce domaine qui sont finalement mises en œuvre. Sans parler de tous les projets qui n’ont pas pu faire leurs preuves. Pas forcément parce qu’ils ne sont pas valables, mais parce qu’ils n’ont jamais pu être lancés correctement et ont été abandonnés. C’est un énorme gaspillage. Les sciences de l’implémentation développent, étudient et évaluent les stratégies qui permettent précisément aux preuves scientifiques d’être traduites dans la pratique des professionnel-les de la santé, de l’éducation, de l’administration ou de la politique. Cette réflexion a commencé dans le système de santé et le système social, mais elle pourrait s’étendre à d’autres disciplines, comme les sciences de l’environnement.

Quels types de stratégies sont étudiés dans les sciences de l’implémentation?
Il en existe plusieurs. Il s’agit en général d’innovations complexes qui impliquent parfois des médicaments et de la technologie, mais surtout des comportements humains. Il s’agit de donner de nouveaux rôles à certaines personnes, de faciliter l’adoption de nouvelles interventions, tout en favorisant la suppression des pratiques de soins à faible valeur ajoutée. Certaines interventions dans le système de santé ne sont pas utiles mais sont pratiquées quand même, par habitude. C’est le cas de l’administration de certains médicaments qui n’améliorent en rien la qualité de vie des personnes très âgées. On essaye donc de les retirer (ça s’appelle la «désimplémentation», en l’occurrence). Mais ce n’est pas si simple parce qu’il faut modifier les pratiques des professionnel-les de la santé et, surtout, convaincre les patient-es d’arrêter ces traitements alors qu’il leur a toujours été dit de les suivre régulièrement. Leur enlever ces produits peut par ailleurs être source d’angoisse. Pour y remédier, on peut faire appel à des proches. Donc il faut mettre en place une stratégie cohérente pour parvenir au résultat souhaité. On trouve ce genre d’exemples partout, dans les soins primaires, la pharmacie, les soins aigus, les soins hospitaliers, etc. À chaque fois, il faut comprendre le contexte et travailler avec les parties prenantes si l’on veut développer une stratégie qui puisse être mise en œuvre de manière efficace et durable.

Quels sont les freins à l’application de ces stratégies?
En pratique, le terrain est souvent très résistant au changement. Cela peut être dû au manque de temps ou de motivation pour apprendre et adopter de nouvelles pratiques ou à une résistance au bouleversement des habitudes. Particulièrement morcelé, le système de santé souffre aussi d’une très faible collaboration interprofessionnelle, ce qui est un frein majeur à l’implémentation. Sans parler de tout le support technologique et digital dans ce domaine qui, lui aussi, est fragmenté. Des freins, il y en a donc à tous les niveaux, jusque chez les politiques. C’est pourquoi nous avons besoin d’informer tout le monde. Nous n’avons malheureusement pas réussi à faire venir des représentant-es de l’Office fédéral de la santé publique pour la conférence de cette année, mais nous avons établi des ponts pour y parvenir en 2026.

Des études suisses seront présentées lors de la conférence. Avez-vous un exemple?
Un exemple intéressant est celui d’Intercare, avec Franziska Zúñiga, professeure à l’Université de Bâle. Son objectif est de réduire le nombre d’hospitalisations non planifiées dans les établissements de soins (essentiellement de type EMS). Ces derniers sont en effet contraints de fournir des soins de haute qualité dans des conditions souvent difficiles, marquées par une pénurie de personnel qualifié, une certaine précarité financière et un manque partiel d’accès à l’expertise gériatrique. Intercare est un modèle de soins dirigés dans lesquels les infirmières gériatriques ont reçu une formation approfondie et assument des rôles élargis afin d’encadrer les équipes de soins, d’apporter des connaissances spécialisées et de renforcer la collaboration interprofessionnelle. Le modèle Intercare a été testé pendant vingt et un mois dans 11 institutions suisses alémaniques. Il a démontré son efficacité dans la réduction des admissions hospitalières non planifiées. Il a également été accompagné par un niveau élevé d’acceptation et, trois ans après la fin du projet, il est toujours en vigueur dans les mêmes 11 établissements.

Qu’en est-il de vos propres recherches?
Nous allons présenter la mise en œuvre de myCare Start, qui est un projet de recherche de mon équipe, le Groupe d’adhésion thérapeutique et interprofessionnalité. MyCare Start est le premier service de santé national visant à soutenir l’adhésion thérapeutique des patient-es atteint-es de maladies chroniques qui commencent un nouveau traitement à long terme. Le programme consiste en deux interventions éducatives et comportementales de dix minutes menées par des pharmacien-nes et des médecins communautaires au cours des six semaines suivant le début du traitement afin de renforcer l’autogestion du patient ou de la patiente. Nos objectifs sont de développer l’intervention et ses stratégies de mise en œuvre ainsi que d’évaluer myCare Start afin de soutenir durablement l’adhésion thérapeutique du patient ou de la patiente, de même que la collaboration interprofessionnelle entre le/la patient-e, le/la pharmacien-ne et la ou le médecin.
 

 

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