3 février 2021 - UNIGE

 

Recherche

Les Suisses de l’âge du bronze soignaient leur alimentation

L'analyse de squelettes de plusieurs communautés vivant à l’âge de bronze en Suisse occidentale a permis de  reconstruire l’évolution de leur alimentation: introduction du millet d'origine asiatique, utilisation du fumier, irrigation des cultures, etc.

 

27Bronziers-1200.jpg

Atelier de bronziers au X-XIe siècle avant notre ère. © André Houot

Une équipe internationale de scientifiques a réalisé une enquête inédite sur l’évolution des habitudes alimentaires ainsi que des techniques d’agriculture et d’élevage des populations de Suisse occidentale à travers tout l’âge du bronze (entre 2200 et 800 avant notre ère). Parue le 27 janvier dans la revue PLoS One, l’étude de certains isotopes contenus dans des restes humains, animaux et végétaux prélevés sur des sites de la région lémanique et du lac de Neuchâtel a permis de combler un certain nombre de lacunes dans ce domaine.

Les auteur-es, dont fait partie Marie Besse, professeure et directrice du Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie (Faculté des sciences), concluent notamment que l’utilisation d’engrais s’intensifie au cours de cette quinzaine de siècles pour faire face à la croissance des populations. Les restes de plantes cultivées ne montrant aucun signe de stress hydrique, les scientifiques estiment par ailleurs que les communautés ont mis en place des solutions pour l’irrigation. Curieusement, alors que le Léman et le Rhône sont tout proches, le régime alimentaire demeure essentiellement tiré des ressources terrestres tout au long de cette même période. Ce régime alimentaire, enfin, a connu son plus gros changement durant l’âge du bronze final (1300-800 avant notre ère) avec l’arrivée d’une nouvelle céréale, probablement le millet, qui vient de Chine et qui est plus résistant à un climat chaud et sec et donc plus adapté à la période de sécheresse qui sévit alors en Europe.

«Cette première étude sur l’évolution de l’alimentation en Suisse occidentale à l’âge du bronze corrobore ce que nous savons de cette période mais démontre aussi la richesse d’importants échanges interculturels», commente Marie Besse.

Intensification des réseaux

L’âge du bronze en Europe est marqué par de grands chamboulements socio-économiques. La population augmente et la mobilité des biens et des personnes s’intensifie. La principale force entraînant ces mouvements est l’échange de matières premières et, en particulier, de métaux. Les populations de cette époque développent en effet la métallurgie du bronze, un alliage composé de cuivre et d’étain. Ce dernier est peu commun et inégalement distribué. S’en procurer nécessite une intensification des réseaux d’échanges à longue distance, ce qui favorise en même temps la circulation des savoir-faire artisanaux, des biens de prestige, des conceptions religieuses. Ce nouveau monde globalisé qui prend forme est d’ailleurs surtout basé sur le mouvement des personnes plutôt que sur la circulation des seules idées, transmises par contact, comme l’a notamment montré une étude ADN récente, parue le
22 mars 2018 dans la revue Nature et à laquelle a également participé Marie Besse.
En parallèle, l’agriculture et l’élevage (d’ovins, de caprins et de bovins) se développent et se perfectionnent pour répondre à la croissance démographique. Les recherches en Suisse montrent que de nouveaux espaces, parfois moins fertiles, sont exploités. En plus du blé et de l’orge, d’origine proche-orientale et dont la culture remonte au Néolithique, on commence à cultiver d’autres variétés de céréales et de légumineuses telles que l’épeautre, le millet, les lentilles et les haricots. On commence également à réaliser des rotations de cultures, à utiliser du fumier et à contrôler le système hydrique. Bref, l’agriculture se complexifie et l’exploitation du territoire est de mieux en mieux organisée.

Ressources limitées

Le problème, c’est que ces reconstitutions de l’alimentation, de l’environnement et des pratiques de l’agriculture et de l’élevage à l’âge du bronze sont essentiellement basées sur des données archéobotaniques et archézoologiques. Ces méthodes, qui étudient les vestiges d’origine végétale et animale, ne fournissent que des informations générales. On ignore donc si les nouvelles plantes sont destinées aux humains ou aux animaux, si le fumier est une technique systématique, si l’irrigation est appliquée à toutes les cultures… Afin d’approfondir la question, les scientifiques ont décidé de compléter l’analyse en mesurant les isotopes stables contenus dans les os et les dents prélevés sur des squelettes humains. Étant donné que l’on est ce que l’on mange, il est en effet possible de déterminer quels types d’aliments ont été consommés par ces individus.
Les ressources archéologiques de l’âge du bronze demeurent toutefois limitées, notamment à cause des changements de rituels funéraires qui surviennent à cette époque. Petit à petit, les populations délaissent en effet l’inhumation au profit de l’incinération, réduisant drastiquement le matériel osseux nécessaire à la recherche.
En plus de sa situation stratégique en matière d’échanges avec l’Europe centrale et du Sud, la Suisse occidentale a l’avantage de posséder plusieurs sites funéraires contenant des restes humains dont les dates s’échelonnent du début à la fin de l’âge du bronze. Les scientifiques ont retenu ceux de Rances, de Vufflens-la-Ville, de Tolochenaz, de Collombey-Muraz et de Chens-sur-Léman (Haute-Savoie). Leurs analyses (sur des isotopes de carbone, d’azote et de soufre) portent sur 41 squelettes humains, 22 animaux et 30 échantillons de plantes.

Pas de poisson

Les résultats ne montrent aucune différence entre les régimes alimentaires des hommes et des femmes ni de changements remarquables entre l’enfance et la phase adulte. En d’autres termes, les hommes ne consomment pas plus de viande que les femmes et les enfants ne font pas l’objet d’une stratégie alimentaire spécifique. Par contre, les poissons et les autres ressources du lac et des rivières, pourtant très proches, ne semblent pas beaucoup faire saliver les communautés de l’âge du bronze dont le régime est principalement tourné vers les animaux et les plantes terrestres.
Le plus grand changement alimentaire concerne en fait les céréales. L’étude confirme en effet l’introduction, dès le Bronze final (1300 à 800 av. J.-C.), du millet, une plante venue de Chine. De plus, les isotopes de l’azote révèlent une intensification progressive de l’utilisation d’engrais pour augmenter la fertilisation du sol très probablement afin d’augmenter la production des cultures agricoles.
Ces deux découvertes semblent confirmer les hypothèses selon lesquelles, d’une part, l’Europe connaît à cette période un climat général plus aride, nécessitant une adaptation de l’agriculture et, d’autre part, que les échanges entre les diverses cultures comme celles de l’Italie du Nord ou de la région danubienne se sont intensifiés, permettant l’introduction du millet en Suisse occidentale. Cette nouvelle céréale, à la croissance plus rapide et qui est plus résistante à la sécheresse, pourrait donc avoir joué un rôle important dans la sécurité de l’approvisionnement et peut-être même favorisé l’augmentation de la population observée au Bronze final, à une période où le climat était relativement chaud et sec.

Pour en savoir plus

 

 

Recherche