LeJournal: Avez-vous trouvé la solution pour que la Suisse puisse parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050, qui est l’objectif fixé en 2019 par le Conseil fédéral?
Martin Patel: Non, pas la solution parce qu’il existe beaucoup de pistes alternatives mais nous en avons développé quelques-unes et nous avons élaboré des outils qui pourraient aider les acteurs (pouvoirs publics, industriels, scientifiques, etc.) à atteindre ce but. Les chercheurs et les chercheuses des SCCER ont surtout planché sur les aspects techniques et économiques de cette transition énergétique qui s’est d’ailleurs considérablement accélérée en cours de route. En effet, au début du programme, en 2013, il n’était encore question que de diviser par trois les émissions de gaz carbonique issues des bâtiments d’ici à 2050 alors qu’aujourd’hui, il faut atteindre la neutralité. Quoiqu’il en soit, les défis sont nombreux et très importants. Les scientifiques ont été mobilisés dans leurs domaines de compétences mais la mise en place des SCCER a également représenté une opportunité exceptionnelle de créer un réseau au niveau national non seulement au sein de la communauté académique mais aussi avec les industriels et les acteurs gouvernementaux. Faire connaître son travail et découvrir celui des collègues actifs dans les mêmes domaines était une demande très forte des chercheurs. C’est aussi une condition indispensable pour faire avancer la science.
Concrètement, qu’avez-vous obtenu comme résultat dans le centre que vous codirigez?
Nous avons essentiellement réalisé des modélisations. Il a fallu intégrer tous les paramètres entrant en ligne de compte lorsqu’on cherche à diminuer la consommation d’un bâtiment. Il faut connaître la tarification de l’énergie, toutes les solutions de production d’énergie qui sont localement à disposition (tout le territoire ne peut pas être connecté à un système de chaleur à distance, par exemple), les techniques d’isolation adéquates, le contexte de la demande en énergie, les aspects esthétiques et architecturaux, les comportements des habitants, etc. À partir de là, nous cherchons les combinaisons optimales pour parvenir à diminuer la consommation d’énergie qui seraient en accord avec les objectifs fixés par la Confédération. Nous avons notamment développé une carte de la Suisse avec une résolution de 200 mètres qui permet de faire ce genre d’analyse de l’échelle du pays à celle du quartier. Ces cartes nous disent pour chaque canton, par exemple, ce qu’il faut faire où au cours de la première décennie à venir, au cours de la deuxième, puis de la troisième (qui est aussi la dernière). On se rend immédiatement compte que l’on ne peut pas attendre la fin de vie des immeubles pour en construire de nouveaux plus efficients du point de vue de l’énergie. On devra plus vraisemblablement réaliser des rénovations relativement importantes même dans des immeubles qui n’ont que trente à quarante ans.
Connaissez-vous tous les paramètres du problème?
Non, il y a encore des lacunes. Par exemple, nous ne savons pas quelle sera l’efficacité ni le coût des batteries ou de toute autre forme de stockage d’électricité dans le futur car ces éléments, indispensables à la gestion des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien, vivent actuellement une phase de développement rapide. Nous ne savons pas non plus quel sera le véritable apport de la géothermie au chauffage des bâtiments. Les recherches sont en cours dans ce domaine et elles font d’ailleurs l’objet d’une synergie exceptionnelle entre l’équipe d’Andrea Moscariello, professeur au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences) et les Services industriels de Genève au sein du SCCER dédié à l’approvisionnement en électricité. Par ailleurs, le domaine évolue sans cesse et parfois très vite. La ville de Zurich a, par exemple, récemment décidé d’abandonner son réseau de gaz naturel et de le remplacer par des solutions basées sur des énergies renouvelables. À Genève, il existe également des plans très ambitieux pour les réseaux thermiques (avec le projet Genilac notamment, qui fonctionne avec l’eau du lac Léman et de l’électricité 100% renouvelable). Personne ne s’attendait à ce que les choses aillent si vite.
Est-ce que les SCCER ont permis à l’Université de Genève de développer ce secteur d’activité au sein de ses facultés?
Oui. En particulier, deux postes de professeur ont été créés. Matteo Lupi a ainsi été nommé professeur assistant au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences) en 2015 et a été titularisé en 2020. Il travaille notamment dans le domaine de la géothermie. Tobias Brosch a, quant à lui, été nommé professeur associé en 2018 à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. Sa spécialité est la recherche sur les décisions et les comportements durables. Cela porte à dix le nombre de professeur-es actifs/ves dans le domaine de la transition énergétique.
Quelle est la suite, maintenant que les SCCER sont terminés?
Le Conseil fédéral souhaite assurer un suivi sans faille des SCCER et a transmis en février 2020 le message relatif au nouveau programme de recherche énergétique baptisé Sweet (Swiss Energy Research for the Energy Transition) au Parlement pour approbation. Prévu pour une durée de douze ans, de 2021 à 2032, le projet, dans lequel nous sommes déjà fortement impliqués, doit utiliser les compétences et les capacités qui ont été développées dans les SCCER pour poursuivre la recherche dans une optique plus opérationnelle.