Le télescope spatial fournira essentiellement deux types de données: des images, d’une résolution comparable à celle du télescope spatial Hubble, prises dans le domaine du visible et de l’infrarouge proche, ainsi que des spectres de basse résolution des galaxies présentes dans chaque champ de ciel observé. De ces mesures, les scientifiques pourront extraire la déformation de l’image des galaxies due à l’effet de lentille gravitationnelle (c’est-à-dire à la présence d’une importante masse invisible située entre la galaxie et la Terre qui infléchit les rayons lumineux) ainsi que la distance et les mouvements d’éloignement ou de rapprochement relatifs à ces mêmes galaxies. Ces informations fourniront la distribution de la masse dans l’Univers, donc l’image de sa structure la plus précise jamais obtenue à ce jour.
Au total, Euclid capturera des milliards de galaxies dont les plus lointaines se trouvent à 10 milliards d’années-lumière de la Terre – et qui nous apparaissent donc telles qu’elles étaient il y a précisément 10 milliards d’années. Le champ d’investigation est tellement vaste que le télescope devrait découvrir, par centaines, des objets (comme les quasars ayant un très fort décalage vers le rouge) et des phénomènes (comme les lentilles gravitationnelles fortes) actuellement très rares.
Détail du «Catalogue de galaxies fictives Euclid Flagship», le plus grand catalogue de galaxies simulées jamais produit. Il a été réalisé par superordinateur et est basé sur une simulation de deux trillions de particules de matière noire et contient plus de deux milliards de galaxies. On remarque la structure à grande échelle de l’Univers. Image: ESA
Impliqués dès le début
«Les scientifiques de l’UNIGE sont impliqué-es dans le projet depuis le début, note Martin Kunz, professeur associé au Département de physique théorique (Faculté des sciences). Nous avons d’abord contribué à convaincre l’ESA de l’importance de cette mission. Le groupe de cosmologie théorique dont je suis le coordinateur a désormais la tâche de déterminer si et comment les données fournies par le télescope spatial pourront tester les différents modèles cosmologiques alternatifs développés à ce jour. Nous savons que la précision des mesures d’Euclid sera très grande. Mais il faut que nos prédictions théoriques le soient tout autant, sinon nous ne pourrons pas les confronter aux observations.»
De son côté, le groupe de Stéphane Paltani, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences), apporte trois autres contributions capitales au succès de la mission. La première est l’obturateur de l’appareil servant à prendre les images dans le domaine du visible. Initialement conçue et dessinée à l’UNIGE, cette pièce maîtresse a été reprise, optimisée et fabriquée par APCO Technologies S.A., une industrie basée à Aigle qui produit également des parties de la prochaine fusée Ariane 6. «L’obturateur est un mécanisme de très haute précision et de très haute fiabilité, précise Stéphane Paltani. C’est une pièce très complexe qui ne fonctionne qu’à très basse température (- 160 °C) et dans le vide. Au moment du lancement, elle est en position fermée. Une fois dans l’espace, elle doit s’ouvrir puis, par la suite, s’actionner des centaines de milliers de fois de manière rigoureusement identique.»
Autrement dit, si le mécanisme ne fonctionne pas, la mission est sérieusement compromise.
La deuxième contribution est le développement d’algorithmes et de logiciels qui représentent, eux aussi, des éléments essentiels pour le bon fonctionnement d’Euclid. Ces outils sont notamment censés pouvoir calculer la distance d’une galaxie rien qu’en regardant des images, grâce à une technique appelée le «décalage vers le rouge photométrique». Cette dernière est la seule qui permette l’analyse de plusieurs milliards de galaxies.
«Ces algorithmes doivent avoir une précision meilleure que 2‰, ce qui représente un très grand défi pour les scientifiques, explique Stéphane Paltani. Cependant, si le résultat initial n’est pas optimal, nous aurons toujours le temps de corriger le tir en cours de mission. Contrairement à l’obturateur qui doit fonctionner du premier coup.»
La troisième contribution du Département d’astronomie est l’hébergement de l’un des dix centres de données européens dont les supercalculateurs (en l’occurrence ceux du cluster de calcul Yggdrasil situés au Département d’astronomie à Sauverny) traiteront l’énorme volume de données produit par la mission Euclid.
Tester Einstein à grande échelle
Grâce à sa moisson unique de données sur la structure de l’Univers sur de très grandes distances, Euclid devrait permettre de tester la relativité générale d’Einstein à grande échelle, ce qui est une première, du moins avec le niveau de précision du télescope spatial. Cette théorie postule que la gravitation est le résultat de la courbure de l’espace-temps provoquée par la présence d’une masse qui, de ce fait, attire d’autres masses plus petites dans son «puits». Cette théorie a prédit des phénomènes tels que les trous noirs, les ondes gravitationnelles, les lentilles gravitationnelles, l’écoulement plus ou moins rapide du temps selon les vitesses relatives de différents observateurs, etc. Autant de phénomènes dont l’existence a été démontrée. Jamais, jusqu’à présent, la relativité générale n’a été mise en défaut. Mais parce qu’elle n’explique pas tout de manière optimale, il convient de continuer à la pousser dans ses derniers retranchements.
Sur la base de la relativité générale, les scientifiques ont également développé un modèle «standard» pour expliquer l’origine, la structure et l’évolution du Cosmos. Seulement, de nombreuses observations astronomiques n’ont pas encore trouvé d’explication totalement satisfaisante dans ce cadre. Par exemple, l’analyse des mouvements des étoiles dans les galaxies et de ceux des galaxies elles-mêmes semble indiquer que la matière que l’on connaît ne suffit pas, et de loin, à les expliquer. Les astrophysicien-nes ont ainsi imaginé la présence d’une «matière noire», actuellement indétectable, qui devrait être cinq fois plus abondante que la matière ordinaire pour que les observations et les modèles classiques se rejoignent.
Une expansion accélérée
Dans les années 1990, on a aussi remarqué, au-delà de tout doute raisonnable, que le Cosmos subit actuellement une expansion accélérée alors que l’on pensait que la masse qu’il contient et la force de gravitation devaient au contraire avoir comme effet de freiner une éventuelle expansion, voire même de provoquer une tendance à la contraction. Il a alors fallu faire intervenir des éléments nouveaux pour expliquer ce mystère. L’idée de l’existence d’une énergie noire, dont l’effet sur l’Univers serait répulsif, est une tentative dans ce sens. En d’autres termes, selon la vision la plus partagée dans la communauté scientifique, 95% de l’Univers serait composé d’énergie noire (70%) et de matière noire (25%) dont les natures sont pour l’instant totalement inconnues.
C’est donc pour faire un peu de lumière dans toute cette noirceur qu’Euclid ira se positionner autour du point de Lagrange 2 du système Terre-Soleil, un endroit distant de 1,5 million de kilomètres. Il pourra y voir le Soleil en permanence pour se recharger et ne jamais avoir la Terre ou la Lune dans le champ de vue. Durant environ six ans, cliché après cliché, ses observations couvriront progressivement un peu plus d’un tiers de toute la voûte céleste. Le reste est dominé par la luminosité de la Voie lactée et par la lumière zodiacale du système solaire et obscurci par la poussière présente dans le plan du système solaire et dans celui de la Voie lactée. Pour Euclid, l’observation y est impossible.