16 mars 2023 - UNIGE

 

Recherche

Grâce à un thermomètre interne, les graines savent quand germer

Une équipe de l’UNIGE a découvert comment la graine décide de rester en «hibernation» ou de déclencher sa germination selon les températures extérieures.

 

 image-20230203094618-J.jpg

Coupe d’une graine d’Arabidopsis thaliana (Arabette des dames), organisme de référence largement utilisé dans les sciences végétales. Photo: UNIGE / Sylvain Loubéry

 

La germination est une étape cruciale dans la vie d’une plante. C’est alors qu’elle quitte le stade de graine résistante à différentes contraintes environnementales (conditions climatiques, absence d’éléments nutritifs, etc.) pour devenir une plantule beaucoup plus vulnérable. La survie du jeune végétal dépend notamment du moment choisi pour opérer cette transition. Il est donc essentiel que cette étape soit contrôlée finement. Une équipe suisse dirigée par Luis Lopez-Molina, professeur associé au Département des sciences végétales (Faculté des sciences), a découvert que les graines étaient dotées d’un thermomètre interne capable de retarder, voire de bloquer la germination en cas de températures trop élevées pour la future plantule. Ces travaux, publiés le 7 mars dans la revue Nature Communications, pourraient permettre d’optimiser la croissance des plantes dans un contexte de réchauffement climatique global.

 

Les graines nouvellement formées sont dormantes, c’est-à-dire qu’elles sont incapables de germer. Après quelques jours – voire quelques mois selon les espèces –, elles se réveillent et acquièrent la capacité de germer pendant la saison favorable à la croissance de la plantule et à la production de nouvelles graines. Cependant, les graines non dormantes peuvent encore décider de leur sort. Ainsi, une graine non dormante qui se retrouve soudainement soumise à des températures trop élevées (plus de 28 °C) peut bloquer sa germination. Ce mécanisme de répression par la température (thermo-inhibition) permet une régulation très fine. Une variation de seulement 1 à 2 °C peut en effet retarder la germination d’une population de graines et ainsi augmenter les chances de survie des futures jeunes plantules.

Une protéine lumino-sensible
Pour comprendre les mécanismes de détection permettant aux graines de déclencher la thermo-inhibition, le groupe de Luis Lopez-Molina s’est intéressé au contrôle de la germination chez l’Arabidopsis thaliana (l’Arabette des dames), une espèce de plante appartenant à la famille des Brassicacées et utilisée comme modèle dans de nombreuses recherches. Les scientifiques ont exploré des phénomènes déjà décrits et assez similaires chez les jeunes plantes, c’est-à-dire à un stade de développement plus avancé.

En effet, les changements de température sont également perçus par les plantules, chez lesquelles une légère augmentation de température favorise la croissance de la tige. Cette adaptation est similaire à celle observée lorsqu’une plante se retrouve dans l’ombre d’une autre: elle s’allonge pour échapper à l’ombre afin de s’exposer à la lumière du soleil qui est plus favorable pour la photosynthèse. Ces variations sont détectées par une protéine sensible à la lumière et à la température, le phytochrome B, qui agit normalement comme un frein à la croissance de la plante. Une augmentation de 1 à 2 °C promeut l’inactivation du phytochrome B, le rendant moins efficace pour empêcher la croissance.

Un thermomètre interne
Pour comprendre si le phytochrome B joue également un rôle dans la thermo-inhibition lors de la germination, les scientifiques ont disséqué les graines de façon à dissocier les deux tissus qu’elles contiennent: l’embryon (qui donnera la jeune plante) et l’albumen (tissu nourricier qui contrôle également la germination chez la graine d’Arabidopsis). Les biologistes ont constaté que, contrairement aux embryons cultivés au contact de l’albumen, ceux qui en sont privés sont incapables de stopper leur croissance sous des températures trop élevées, ce qui entraîne leur mort.

«Nous avons découvert que la thermo-inhibition chez l’Arabette des dames n’est pas contrôlée de manière autonome par l’embryon mais mise en œuvre par l’albumen, révélant une nouvelle fonction essentielle pour ce tissu, explique Urszula Piskurewicz, chercheuse au Département de sciences végétales et première auteure de l’étude. En d’autres termes, en l’absence d’albumen, l’embryon au sein de la graine ne percevrait pas que les températures sont trop élevées et entamerait une germination qui lui serait fatale.»

La thermo-inhibition de la germination est un nouvel exemple de l’influence des variations climatiques sur certains phénomènes périodiques de la vie des plantes (germination, floraison, etc.). «On s’attend à ce que cette caractéristique ait un impact sur la distribution des espèces et l’agriculture des plantes et cet impact sera d’autant plus grand que les températures augmentent dans le monde entier», rapporte Luis Lopez-Molina, dernier auteur de l’étude. Mieux comprendre comment la lumière et la température déclenchent ou retardent la germination des graines permettrait en effet d’optimiser la croissance des plantes exposées à un large éventail de conditions climatiques.

 

Recherche