6 juillet 2023 - UNIGE

 

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Une «loupe» pour observer l’apparition de la vie sur Terre

Grâce à une nouvelle technique d’observation des réactions chimiques dans les liquides, l’UNIGE et l’EPFZ éclairent l’une des hypothèses sur les origines chimiques de la vie.

 

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Transfert de proton induit par la photoionisation entre deux molécules d’urée dans une solution aqueuse d’urée. Image: Ludger Inhester, DESY, Hamburg

Quels processus ont conduit à l’apparition de la vie sur notre planète, il y a quelque 3,8 milliards d’années? De nombreuses hypothèses ont été émises à ce sujet. Pour certain-es scientifiques, l’urée aurait joué un rôle essentiel. Après s’être enrichie dans des flaques d’eau chaude, cette petite molécule contenant du carbone et de l’azote aurait produit, sous l’effet de rayons cosmiques, de l’acide malonique à l’origine de l’ARN et de l’ADN. Afin d’observer comment se comporte une solution d’urée exposée à de tels rayons, une équipe de l’Université de Genève et de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) a mis au point une méthode spectroscopique permettant d’observer les réactions chimiques dans les liquides, avec une résolution temporelle extrêmement élevée. Grâce à elle, les scientifiques peuvent examiner la façon dont les molécules changent en quelques femtosecondes, c’est à dire en quelques millionièmes de milliardièmes de seconde. Cette technique se base sur des travaux antérieurs réalisés par les mêmes équipes. Ces résultats, à découvrir dans la revue Nature, jettent un nouvel éclairage sur l’apparition de la vie sur Terre.

Pour étendre leurs observations de spectroscopie aux liquides – l’environnement naturel des processus biochimiques –, les chercheurs/euses ont dû concevoir un appareil capable de produire un jet de liquide d’un diamètre inférieur à un millionième de mètre dans le vide. Cette donnée était essentielle car un jet plus épais absorberait une partie des rayons X utilisés pour le mesurer. «Ce film liquide très fin est obtenu par la collision de deux jets liquides à un angle bien précis», explique Jean-Pierre Wolf, professeur ordinaire au Département de physique appliquée de la Section de physique (Faculté des sciences), dans les laboratoires duquel ces travaux ont été réalisés.

Avec cette nouvelle technique, les chercheurs/euses de l’UNIGE et de l’EPFZ ont pu étudier la première étape de la longue série de réactions chimiques qui auraient conduit à l’apparition de la vie. Soit la manière dont une solution d’urée concentrée se comporte lorsqu’elle est exposée à des rayonnements ionisants. «Il faut savoir que les molécules d’une solution d’urée concentrée se regroupent par paires, appelées dimères. Nous avons découvert que les rayonnements ionisants provoquent le déplacement d’un atome d’hydrogène d’une molécule d’urée à l’autre, à l’intérieur de chacun de ces dimères», explique Hans Jakob Wörner, professeur ordinaire au Département de chimie et de biosciences appliquées de l’EPFZ, qui a co-dirigé l’étude.

 

À la recherche de l'acide malonique

Lors de cette étape, l’une des deux molécules du dimère se transforme en molécule d’urée protonée, l’autre en radical d’urée. Ce dernier est chimiquement si réactif qu’il est fortement susceptible de réagir avec d’autres molécules, formant ainsi de l’acide malonique. Les scientifiques sont également parvenu-es à montrer que ce transfert d’atome d’hydrogène s’effectue extrêmement vite, en l’espace d’environ 150 femtosecondes, soit 150 quadrillionièmes de seconde.

Cette réaction, particulièrement rapide, devance n’importe quelle autre qui pourrait théoriquement avoir lieu. Cela explique pourquoi les solutions d’urée concentrées produisent des radicaux d’urée plutôt que d’héberger d’autres réactions qui produiraient d’autres molécules. À l’avenir, l’équipe de recherche souhaite examiner les étapes suivantes qui mènent à la formation de l’acide malonique.

Cette nouvelle méthode ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude des origines de la vie et, plus largement, de toute réaction chimique se produisant dans les liquides. Les applications les plus prometteuses concerneront le développement de nouveaux médicaments ou de nouveaux matériaux pour capter l’énergie solaire d’une manière plus efficace.

 

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