12 juin 2024 - Anton Vos

 

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Il y a 6000 ans, hommes et femmes étaient égaux face aux ressources

Une analyse des isotopes contenus dans des restes humains vieux de plus de 6000 ans et mis au jour dans la nécropole de Barmaz en Valais a montré qu’environ 14% des individus inhumés dans ce site ne sont pas des locaux. L’étude suggère également que cette société agropastorale du Néolithique moyen, l’une des plus anciennes connues en Suisse romande, était relativement égalitaire.

 

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Cérémonie funéraire au Néolithique dessinée par André Houot et tirée du livre d'Alain Gallay (2008), Des Alpes au Léman : Images de la préhistoire.

 

L’objectif de l’étude réalisée par Déborah Rosselet-Christ dans le cadre de son travail de maîtrise universitaire en archéologie préhistorique à l’UNIGE, est l’application de l’analyse isotopique sur les restes humains datant du Néolithique afin d’en savoir plus sur leur régime alimentaire et leur mobilité. Les taux de certains isotopes du carbone, de l’azote, du souffre et du strontium dépendent en effet de l’environnement dans lequel vit et se nourrit chaque individu. Cette technique très fine et délicate est appliquée pour la première fois sur des populations agropastorales alpines du Néolithique moyen en Suisse romande.

 

L’intérêt du Néolithique, c’est que cette période marque le début de l’élevage et de l’agriculture. En Suisse, elle s’étend entre 5500 et 2200 avant notre ère. Les premières communautés agropastorales passent ainsi progressivement d’une économie de prédation – où la chasse et la cueillette apportent les nutriments essentiels à la survie – à une économie de production. Ces changements profonds bouleversent les habitudes alimentaires et la dynamique de fonctionnement des population néolithiques. Les os et les dents des individus en gardent des traces chimiques que les scientifiques savent aujourd’hui détecter et interpréter.


La mobilité selon la deuxième molaire

Fouillé dans les années 1950 et 1990, le site de Barmaz, à Collombey-Muraz dans le Chablais valaisan, fait partie des plus anciens vestiges des sociétés agropastorales de Suisse romande conservant des restes humains. Il est composé de deux nécropoles ayant renfermé les ossements d’une septantaine d’individus. Pour son travail, Déborah Rosselet-Christ, première autrice de l’étude, en a sélectionné 49 (comptant autant de femmes que d’hommes) sur lesquelles elle a systématiquement prélevé des échantillons de collagène sur certains os ainsi que des fragments d’émail de leur deuxième molaire.

«La deuxième molaire est une dent dont la couronne se forme entre l’âge de trois et huit ans, précise Déborah Rosselet-Christ qui est actuellement candidate au doctorat. Une fois formé, l’émail des dents ne se renouvelle plus au cours du reste de la vie. Sa composition chimique est donc le reflet de l’environnement dans lequel son propriétaire a vécu durant son enfance. Le strontium (Sr), en particulier, est un bon marqueur de mobilité. Le rapport d’abondance entre deux de ses isotopes varie en effet beaucoup selon l’âge des roches des alentours. Ces éléments chimiques finissent par se retrouver dans l’émail via la chaîne alimentaire et ils y impriment une signature indélébile qui est propre à chaque environnement.»

L’analyse des rapports isotopiques du strontium chez les 49 individus de Barmaz révèle une grande homogénéité dans la majorité d’entre eux et des valeurs nettement différentes chez seulement 14% des échantillons, indiquant une origine différente.

«La technique permet de déterminer qu’il s’agit d’individus qui n’ont pas vécu les premières années de leur vie là où ils ont été inhumés mais il est plus difficile de déterminer d’où ils proviennent», tempère Jocelyne Desideri, chargée de cours au Laboratoire d’archéologie africaine et anthropologie (Faculté des sciences) et co-directrice de la thèse de Déborah Rosselet-Christ.  «Nos résultats montrent que les gens se déplaçaient à cette époque. Ce n’est pas une surprise, plusieurs études  mettent en évidence le même phénomène dans d’autres endroits et à d’autres moments du Néolithique.»


Le régime alimentaire enregistré dans le collagène

Le collagène, lui, permet de déterminer des abondances relatives d’isotopes du carbone (le 13C), de l’azote (15N) et du soufre (34S). Chaque mesure renseigne sur des aspects spécifiques du régime alimentaire tels que les catégories de plantes selon le type de photosynthèse qu’elles utilisent, la quantité de protéines animales ou encore l’apport d’animaux aquatiques. Comme les os se renouvellent sans cesse, les résultats ne concernent que les dernières années de vie des individus. Cela dit, les scientifiques ont pu en déduire que ces anciens résidents de Barmaz avaient un régime alimentaire basé sur des ressources terrestres (et non aquatiques) avec une très forte consommation de protéines animales.

«Ce qui est plus intéressant, c’est que nous n’avons pas relevé de différences entre les hommes et les femmes, note Déborah Rosselet-Christ. Ni même entre les locaux et les non locaux. Ces résultats suggèrent donc un accès égal aux ressources alimentaires pour les différents membres du groupe, quels que soient leur origine ou leur sexe. Ce n’est pas toujours le cas. On trouve par exemple des différences alimentaires selon le sexe dans des populations du Néolithique au sud de la France.»

Les scientifiques ont cependant pu mettre en évidence que celles et ceux d’origine non locale n’étaient enterré-es que dans une des nécropoles (Barmaz I) et que des taux plus élevés pour l’isotope d’azote ont été mesurés chez les autres (Barmaz II). Les deux nécropoles étant contemporaines (et éloignées de seulement 150 mètres), cette dernière observation pose la question de savoir s’il existe une différence de statut social entre les deux groupes de défunts.

«Nos mesures isotopiques offrent un complément intéressant à d’autres approches  utilisées en archéologie, estime Jocelyne Desideri. Elles permettent de préciser l’image que l’on tente de dessiner de la vie de ces premières sociétés agropastorales alpines, de la relation entre les individus et de leur mobilité.»

Déborah Rosselet-Christ poursuit actuellement ce travail dans le cadre de sa thèse de doctorat, financée par le projet ALP du Fonds national suisse pour la recherche scientifique. Aux côtés d’une équipe multidisciplinaire spécialisée en génétique, paléopathologie, tartre et morphologie dentaire, elle élargit son champ d’étude en intégrant d’autres sites en Valais et dans le val d’Aoste en Italie, en couvrant une période plus grande du Néolithique et en utilisant d’autres isotopes, tels que le néodyme, potentiellement intéressants dans le contexte archéologique préhistorique.

 

 

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